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La consécration du droit à la preuve en présence d’une preuve obtenue de façon déloyale, un revirement de jurisprudence retentissant mais à la portée encore incertaine.

La consécration du droit à la preuve en présence d’une preuve obtenue de façon déloyale, un revirement de jurisprudence retentissant mais à la portée encore incertaine.

Publié le : 13/03/2024 13 mars mars 03 2024

Cour de cassation, Assemblée plénière, 22 décembre 2023, 20-20.648

Une preuve obtenue de façon déloyale peut désormais être, sous certaines conditions, recevable.

Cependant, à quelles conditions cette preuve déloyale est-elle recevable ? Et, surtout, quelle est la portée de cette solution ?

Dans un procès civil, chaque partie doit alléguer les faits propres à fonder leurs prétentions. [1] Toutefois, toute preuve doit être rapportée de façon conforme à la loi [2] et au principe de loyauté dans l’administration de la preuve. Ainsi, le moyen de preuve obtenu de façon déloyale, soit recueilli à l’insu de la personne ou obtenu grâce à une manœuvre ou un stratagème, était de facto irrecevable et ne pouvait être examiné par le juge. [3]

Cette automaticité du rejet de la preuve obtenue de manière déloyale conduisait certains justiciables à être privés de la possibilité d’intenter une action en justice ou d’agir en réponse pour simple défaut de preuve telle qu’exigée par la jurisprudence.

En parallèle, la Cour européenne des droits de l’homme a développé une jurisprudence importante portant sur le droit à la preuve tel que découlant de l’article 6§1 de la Convention et du principe d’égalité des armes. [4] Ce droit à la preuve a ensuite été reconnu par la Cour de cassation en permettant à une partie de produire un élément de preuve portant atteinte aux droits de l’autre partie dès lors que cette production est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et n’est pas disproportionnée aux intérêts antinomiques en présence. [5]

Dans le cadre de cet arrêt, l’Assemblée plénière devait faire un choix entre la conservation de sa position de son arrêt de 2011 ou se mettre en conformité avec la jurisprudence la plus récente de la Cour européenne des droits de l’Homme. En d’autres termes, l’Assemblée plénière devait trancher le débat existant entre le strict respect du principe de loyauté probatoire ou permettre à certains justiciables de porter leur action en justice lorsque leur unique moyen de preuve a été obtenu de façon déloyale.


En l’espèce, un responsable commercial avait été licencié pour faute grave suite à un entretien informel et un entretien préalable à un éventuel licenciement. L’employeur avait assigné le salarié en demandant des dommages-intérêts pour non-exécution du préavis et en réparation d’un préjudice commercial devant le Conseil des Prud’hommes. En réponse, le salarié contestait son licenciement sur la base d’enregistrements clandestins des entretiens précédant son licenciement. Les juges du fond avaient déclaré irrecevables ces éléments de preuve.

Toutefois, cette solution n’est pas celle retenue par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation dans son arrêt du 22 décembre 2023. Pour censurer l’arrêt d’appel, la Haute juridiction énonce que « dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».


Un revirement de jurisprudence

Il est désormais permis à une partie disposant uniquement d’un moyen de preuve obtenue à l’insu d’une personne ou grâce à des manœuvres de ne pas être privée de tout moyen de faire la preuve de ses droits.

Ensuite, l’attendu s’aligne sur la jurisprudence européenne et n’opère plus de distinction entre preuve illicite et preuve déloyale.

Par ailleurs, mettre un terme à cette distinction permet d’éviter le risque d’instrumentalisation de la voie pénale qui, à la différence de la procédure civile, n’écarte pas les moyens de preuve obtenus de façon déloyale.

Toutefois, cette recevabilité de la preuve déloyale est conditionnée.

Avec cet arrêt, la preuve déloyale n’est plus irrecevable de façon automatique. Cependant, il ne faut pas s’y méprendre, elle n’est pas de facto recevable non plus.

En réalité, la preuve obtenue de façon déloyale sera soumise à un contrôle de proportionnalité in concreto opéré par le juge. Ce dernier devra désormais rechercher si l’élément de preuve en question porte atteinte au « caractère équitable de la procédure dans son ensemble ». Il conviendra alors de mettre en balance le droit à la preuve de la partie apportant une preuve déloyale et les droits de l’autre partie en présence à laquelle ladite preuve est opposée, tel que le respect des droits de la défense en permettant à l’autre partie de faire valoir ses arguments en réponse à cette production de preuve par exemple.

Par ailleurs, les conditions classiques du droit à la preuve sont ici reprises. Ainsi, la production d’éléments de preuve obtenus de façon déloyale doit encore respecter deux conditions cumulatives :
  • être indispensable à l’exercice du droit à la preuve
  • et l’atteinte aux droits antinomiques doit être strictement proportionnée au but poursuivi.
     
L’incidence de ce revirement de jurisprudence sur le contentieux de la production d’une preuve déloyale

L’incidence de cet arrêt sur la recevabilité des éléments de preuve obtenus de façon déloyale est pour le moins incertaine. En effet, s’agissant d’un contrôle de proportionnalité in concreto, les juges du fond devront notamment s’atteler à vérifier la préservation des droits de chacune des parties au litige. Une même preuve pourra donc être écartée devant une juridiction et déclarée recevable devant une autre en fonction des faits de l’affaire portée devant les juges.

Enfin, il convient de s’interroger sur la portée pratique de cet arrêt

Dans cette affaire, la question de la preuve déloyale se posait en matière sociale.

En matière de contentieux des affaires, certaines preuves sont également particulièrement difficiles à rapporter.

Or, l’arrêt fait ici référence au « procès civil » de façon générale et non pas à un contentieux particulier en matière sociale.


Sa portée reste donc encore incertaine et, une fois de plus, il s’agira de rester attentif aux futurs arrêts rendus en la matière.


 
 
[1] Article 6 du code de procédure civile
[2] Article 9 du code de procédure civile
[3] Ass. plén. 7 janvier 2011, pourvoi n° 09-14.316
[4] Voir not CEDH, arrêt du 10 octobre 2006, L.L. c. France, n° 7508/02 ; CEDH, arrêt du 13 mai 2008, N.N. et T.A. c. Belgique, n° 65087/01
[5] Civ. 1re, 5 avr. 2012, n° 11-14.177

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