Prédominance de la libre révocation du mandat sur le régime de la rupture brutale des relations commerciales établies
Auteurs : Julien Skeif,Ghislaine Betton
Publié le :
26/10/2023
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Le cas étudié permet de rappeler l’importance de l’article 2004 du Code civil concernant la révocation d’un mandataire et la rupture brutale de relations commerciales établies.
Le 4 octobre 2023[1], la chambre commerciale de la Cour de cassation a rappelé, dans une des rares décisions recensées sur le sujet, que l'article 2004 du Code civil permet une révocation ad nutum du mandat nonobstant l’ancienneté de celui-ci.
Selon cette disposition en effet, un mandat peut être révoqué à la discrétion du mandant, sans aucune obligation de fournir des justifications, l'abus de ce droit ne pouvant être établi qu’en cas d’intention malveillante ou de négligence blâmable dans son exercice.
Cette règle confère ainsi une grande souplesse au mandant et lui permet de mettre fin au contrat en toute liberté, sans devoir se conformer à des formalités particulières si ce n’est de notifier la révocation au mandataire pour que celle-ci prenne effet.
En l'espèce, l'association Syndicat national du commerce de l'antiquité, de l'occasion, et des galeries d'art moderne et contemporain (le Syndicat) avait, durant de nombreuses années, chargé une société de communication de gérer la publicité d’une foire nationale organisée deux fois par an.
Le 21 novembre 2013, ce dernier a toutefois a décidé de mettre fin à leur collaboration.
En réponse, le mandataire a engagé une action en justice, considérant qu’il s’agissait là d’une rupture brutale de relations commerciales établies, justifiant l’allocation de dommages et intérêts en réparation de son préjudice.
Cette affaire offrait donc l’occasion intéressante de préciser l’articulation de l’article 2004 précité avec un autre régime bien connu du monde des affaires, découlant de l'article L. 442 -6-I-5° du Code de commerce.
Selon ce dernier texte en effet, le fait de rompre brutalement une relation commerciale établie, sans préavis écrit suffisant, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé.
Le 28 janvier 2022[2], la Cour d’appel de Paris saisie de l’affaire a privilégié le régime prévu par le Code du commerce, approuvant ainsi les premiers juges d’avoir condamné le Syndicat à payer à la société de communication la somme de 150 000 € à titre de dommages-intérêts.
Ce dernier a donc formé un pourvoi en cassation, faisant valoir en substance :
- Que le contrat de mandat peut régulièrement stipuler un terme sans préavis en cas de méconnaissance de ses clauses ;
- Qu’en l’espèce, le contrat contenait une clause d’exclusivité sanctionnée par le droit, pour le mandant, d’interrompre sans préavis la fonction de l’intéressé, s’il en jugeait les termes transgressés ;
- Qu’était ainsi contractuellement prévue la faculté pour le mandant de révoquer le mandat sans préavis en cas de méconnaissance par le mandataire de ses obligations.
Pour censurer l’arrêt d’appel, la Cour de cassation adopte toutefois un raisonnement bien plus simple : après avoir rappelé la règle de l’article 2004, elle considère que les juges du fond, en statuant comme ils l’ont fait tout en constatant que les parties étaient liées par un mandat civil, ont violé ce texte.
La cassation est ainsi prononcée : dans la mesure où l’article 2004 du Code civil prévoit une règle spéciale, c’est cette règle qui doit s’appliquer à la révocation du mandat.
Cette décision aussi simple que sévère revêt une pertinence certaine pour le monde des affaires : elle remet en effet en lumière l'importance de l'article 2004 du Code civil tout en incitant à la prudence quant aux clauses contractuelles relatives à la révocation du mandataire qui peuvent en influencer l'application.
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