
Le principe du contradictoire s’impose tant aux parties qu’au juge
Publié le :
13/03/2025
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2025
Cass. 2e civile, 13 février 2025, n°23-17.606
Parmi les principes directeurs du procès prévus par le Code de procédure civile, figure celui du contradictoire.
Erigé en principe général du droit par le Conseil d’Etat[1], le principe du contradictoire empêche qu’une décision ne soit rendue sans que chaque partie n’ait été en mesure de faire valoir ses prétentions de fait et de droit, de connaitre les prétentions de son adversaire et de les discuter.[2]
Concrètement, cela implique que chaque partie ait la faculté et le temps suffisant pour prendre connaissance et discuter de toute pièce ou observation présentée au juge en vue d’influencer sa décision.[3]
Pour rendre effectif le respect de ce principe, l’article 16 du Code de procédure civile l’impose au juge lui-même :
« Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.
Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations. »
C’est justement au visa de cet article 16 du Code de procédure civile que par une décision du 13 février 2025, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a récemment eu l’occasion de rappeler que le principe du contradictoire devait également être respecté par le juge.
L’affaire s’inscrivait dans le contexte d’un bail commercial. En l’espèce, une société civile immobilière propriétaire de locaux commerciaux, les a loués à une autre société.
Cependant, un incendie est survenu détruisant les locaux.
Suite à une expertise estimant le coût de la démolition et de la reconstruction du bâtiment appartenant à la société civile immobilière, l’assureur a indemnisé cette dernière.
L’assureur de la société civile a ensuite engagé une action à l’encontre de la société locataire afin d’obtenir le remboursement de l’indemnité versée.
La juridiction de première instance a condamné la société locataire à payer une certaine somme à l'assureur. La société locataire a ensuite relevé appel de ce jugement.
La Cour d’Appel de Saint Denis de la Réunion a, par un arrêt du 21 avril 2023, confirmé ledit jugement[4] et la société locataire a alors formé pourvoi en cassation contre l’arrêt d’appel.
La société locataire reproche à la Cour d’appel d’avoir confirmé le jugement en se fondant sur une décision rendue par la Cour de cassation le 7 février 2012 (RG n°10-27.304) qui n’avait pas été soumise aux débats et qui avait donc été citée d’office par les Juges.
En procédant ainsi et selon la demanderesse au pourvoi, les Juges de la Cour d’appel de Saint Denis de la Réunion ont violé le principe du contradictoire.
La jurisprudence de 2012 sur laquelle s’était fondée les Magistrats d’appel consacrait le principe selon lequel l'assureur subrogé dans les droits de son assuré pouvait se prévaloir de la déclaration de créance faite par son assuré avant le versement de l'indemnité d'assurance à la procédure collective de l'auteur du dommage.
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a toutefois cassé l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Saint Denis de la Réunion sur ce point, en considérant que les juges avaient violé le principe du contradictoire puisque la Cour d’appel n’avait pas invité les parties à s’exprimer sur l’application d’une décision de la Cour de cassation relevée d’office :
« Vu l'article 16 du code de procédure civile :
17. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. »
(…)
21. L'arrêt retient, enfin, que le jugement frappé d'appel doit être confirmé sur le principe de l'admission de cette créance détenue par l'assureur subrogé, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation (Com., 7 février 2012, pourvoi n° 10-27.304, Bull. 2012, IV, n° 26).
22. En statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen relevé d'office, tiré de l'application, à l'affaire dont elle était saisie, de l'arrêt précité, qui juge que l'assureur, subrogé dans les droits et actions de son assuré qu'il a indemnisé, peut se prévaloir de la déclaration de créance faite par ce dernier, avant le versement de l'indemnité d'assurance, à la procédure collective de l'auteur du dommage, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »
Ainsi, au visa de l’article 16 du Code de procédure civile, la Cour de cassation rappelle que le principe du contradictoire impose au juge de ne pas fonder sa décision sur un moyen relevé d’office sans avoir invité au préalable les parties à présenter leurs observations.
Dès lors, imposer le respect du contradictoire par le juge lui-même permet de limiter le pouvoir d’office du juge.
Sur ce sujet, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a rappelé que les tribunaux ne doivent pas se fonder sur des éléments de fait ou de droit qui n’ont pas été discutés durant la procédure[5].
De même, viole le texte de l’article 16 du Code de procédure civile la Cour d’appel faisant état d’office d’un moyen non invoqué par les parties et sur lequel le défendeur n’avait pas été à même de s’expliquer.[6]
Plus encore, le juge ne peut prendre en considération des éléments dont il a pu avoir personnellement connaissance, s’il n’a pas mis les parties en mesure d’en débattre contradictoirement.[7]
Toujours dans un souci de protection des droits de la défense, l’article 135 du Code de procédure civile permet au juge d’écarter du débat les pièces qui n’ont pas été communiquées en temps utile.
A ce titre, le juge ne peut pas fonder sa décision en se référant à des conclusions non notifiées.[8]
Ou encore, le juge peut écarter le dépôt de pièces ou de conclusions communiquées tardivement ce qui a placé l’adversaire dans l’impossibilité d’y répondre.[9]
En somme, avec cette nouvelle décision, la Haute Juridiction vient renforcer le respect du principe du contradictoire et rappelle que ce dernier qui doit également être respecté par le juge afin de garantir une sécurité juridique et la protection des droits de la défense.
Fort de son expertise, le Cabinet Pivoine Avocats vous conseille et vous accompagne dans vos actions judiciaires.
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[1] CE, 11 oct. 1979, Rassemblement des Nouveaux Avocats de France
[2] CA Paris, 1ere ch., sect.C, 14 juin 2007, RG 05/22672
[3] Cass. ass. plén., 22 déc. 2000, n° 99-11.303
[4] CA Saint-Denis de La Réunion, 21 avril 2023, RG 18/01157
[5] CEDH, 4e sect., 3 mai 2016, n°66522/09, ALEXE c. ROUMANIE
[6] Cass. 1e civile, 18 juin 1974, n°73-10.956
[7] Cass. Soc., 20 février 1990, n°87-42.063
[8] Cass. Com., 21 novembre 1977, n°76-12.467
[9] Cass. 2e civile, 4 mars 2004, n°02-15.270
Historique
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