
LE RAPPEL DES CONDITIONS DE LA TIERCE OPPOSITION CONTRE UNE DECISION ORDONNANT LA RECUSATION D’UN EXPERT JUDICIAIRE : Cass. 2e civile, 3 juillet 2025, n°22-24.675
Publié le :
09/09/2025
09
septembre
sept.
09
2025
Dans une récente décision du 3 juillet 2025, la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur le recours à la tierce opposition en matière de récusation d’expert judiciaire, dans le cadre d’un litige de construction immobilière.
Un entrepreneur avait assigné plusieurs personnes intervenant dans le cadre du projet immobilier devant le Juge des référés, pour solliciter l’organisation d’une expertise judiciaire.
Par une ordonnance du 9 décembre 2019, le Juge a accueilli sa demande et a désigné un expert.
Par suite, l’entrepreneur a déposé une requête auprès du juge chargé du contrôle des expertises, en vue d’obtenir la récusation de l’expert désigné.
Sa demande a été rejetée selon une ordonnance du 3 mai 2021.
L’entrepreneur a interjeté appel de cette décision et la Cour d’appel, par un arrêt du 1er octobre 2021, a infirmé l’ordonnance rendue, prononcé la récusation de l’expert et a ordonné son remplacement.
La société BOLOUMAN, constructeur, quant à elle, a formé une tierce opposition à l’encontre de la décision de récusation.
Par un arrêt du 30 septembre 2022, la Cour a jugé irrecevable la tierce opposition, considérant que les tiers ou les parties au procès autres que le requérant étaient nécessairement irrecevables en leur action à l’égard d’une décision de justice prononçant la récusation d’un expert.
La société BOLOUMAN a formé un pourvoi en cassation en soutenant que les juges d’appel avaient manifestement violé les dispositions du Code de procédure civile, précisant notamment qu’il était bien un tiers à la procédure de récusation et rappelant les conditions de récusation des techniciens.
Dans son arrêt du 3 juillet dernier, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi en rappelant d’une part, les causes classiques de récusation de l’expert (I), et en précisant d’autre part, les conditions de mise en œuvre de la tierce opposition dans ce contexte-là (II).
-
Le rappel des conditions de récusation de l’expert judiciaire désigné
L’expertise judiciaire est donc l’une des mesures d’instruction possibles, et est prévue aux articles 263 et suivants du Code de procédure civile.
Elle peut être ordonnée à la demande des parties ou d’office par le juge, qui désigne en ce cas un technicien chargé d’établir la réalité et l’exactitude des faits dont dépend la solution du litige.
La décision ordonnant l’expertise désigne l’expert et les missions qui lui seront confiées.
Néanmoins, l’expert est soumis aux mêmes causes de récusation que le juge conformément à l’article 234 du Code de procédure civile.[2]
Son remplacement est donc envisageable dans tous les cas où la situation, les activités ou les actes de l’expert seraient de nature à créer objectivement un doute sérieux quant à son impartialité.
En application des textes précités, constituent des causes de récusation, l’existence d’un procès entre l’expert et l’une des parties[3], de même que l’amitié notoire entre l’expert et l’une des parties[4].
La demande de récusation doit être faite avant le début des opérations ou dès la révélation de la cause de récusation[5]. En revanche, la récusation de l’expert est irrecevable après le dépôt du rapport d’expertise[6], étape finale de la mesure.
Si la récusation est admise, il est pourvu au remplacement de l’expert.
Dans sa décision du 3 juillet dernier, la Cour de cassation est venue classiquement rappeler que les techniciens pouvaient être récusés pour les mêmes causes que les juges et que si la récusation était admise, il était pourvu au remplacement du technicien par le juge qui l’a commis ou par le juge chargé du contrôle.
Puis, dans un second temps, la Cour de cassation s’est prononcée sur les conditions de recevabilité de la tierce opposition dans ce contexte précis de récusation de l’expert judiciaire.
-
Les conditions de recevabilité de la tierce opposition contre une décision ordonnant la récusation d’un expert
Selon le premier de ces textes, « la tierce opposition tend à faire rétracter ou réformer un jugement au profit du tiers qui l'attaque ».
La tierce opposition constitue une voie de recours extraordinaire, non suspensive d’exécution.
Elle remet en question relativement à son auteur les points jugés qu'elle critique, pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit.
Pour être recevable à former tierce opposition, la personne ne doit avoir été ni partie ni représentée au jugement attaqué et doit avoir un intérêt à agir.
La Cour de cassation avait déjà retenu que la tierce opposition n’était recevable que si la personne, non partie ni représentée au jugement attaqué, y avait intérêt, ce-dernier critère étant souverainement apprécié par les juges du fond, et n’impliquant pas nécessairement que la décision attaquée ait statué sur les droits et obligations de l’opposant.[7]
A ce titre, elle avait considéré que le technicien commis par le juge pour l’éclairer sur une question de fait, est un auxiliaire de justice qui, de ce fait n’est pas un tiers et n’a pas qualité pour former tierce opposition à la décision de récusation dont il est l’objet[8].
De même, elle avait précisé que si toute personne qui n’a pas été partie ni représenté au jugement qu’elle attaque est recevable à former tierce opposition contre une décision qui lui fait grief, ce recours n’étant cependant ouvert que si le préjudice que subit la personne qui l’invoque résulte du dispositif de la décision attaquée[9]. Plus précisément, il ne suffit pas que l’auteur du recours subisse les effets d’une décision, il faut encore démontrer l’existence d’un intérêt direct et personnel.
L’appréciation de l’existence d’un préjudice en matière de tierce opposition et de l’intérêt du demandeur à agir relève du pouvoir souverain des juges du fond.[10]
Dans le cadre d’une affaire similaire, la Cour de cassation avait déjà retenu que seul le requérant à la récusation est partie à la procédure de récusation [11].
Dans le présent arrêt, après avoir a rappelé les conditions requises pour la tierce opposition, la Cour de cassation est venue confirmer le raisonnement des Juges d’appel et a rejeté le pourvoi : le requérant à l’instance de récusation de l’expert étant seule partie à cette procédure, à l’exclusion des autres parties au litige principal, la société défenderesse au principal n’a pas d’intérêt pour intervenir à cette instance relative à la récusation de l’expert, et est irrecevable à former tierce opposition à ladite décision.
Il convient donc d’être particulièrement vigilant quant aux conditions de recevabilité de la tierce opposition, qui présente des subtilités pratiques, et qui ne peut être exercée par n’importe quel tiers au procès, selon la décision qu’il souhaite attaquer.
Fort de son expertise, le Cabinet Pivoine Avocats vous conseille et vous accompagne.
Pour plus d’informations ou pour prendre rendez-vous, contactez-nous.
[1] Cass. 2e civile, 14 avril 2022, n°20-22.578
[2] Cass. 2e civile, 27 février 2020, n°18-24.066
[3] Cass. 2e civile, 13 octobre 2005, n°04-10.834
[4] Cass. 2e civile, 5 avril 2001, n°99-15.689
[5] Cass. 2e civile, 23 novembre 2000, n°97-11.950
[6] Cass. 2e civile, 18 novembre 2010, n°09-13.265
[7] Cass. 2e civile, 29 septembre 2022, n°21-14.926
[8] Cass. 2e civile, 24 juin 2004, n°02-10.200
[9] Cass. 2e civile, 8 décembre 2022, n°21-15.425
[10] Cass. 2e civile, 2 juillet 2020, n°19-13.616
[11] Cass. 2e civile, 27 février 2020, n°18-24.066 ; Cass. 2e civile, 3 mars 2022, n°20-21.122 et n°20-21.867
Historique
-
LE RAPPEL DES CONDITIONS DE LA TIERCE OPPOSITION CONTRE UNE DECISION ORDONNANT LA RECUSATION D’UN EXPERT JUDICIAIRE : Cass. 2e civile, 3 juillet 2025, n°22-24.675
Publié le : 09/09/2025 09 septembre sept. 09 2025Responsabilité contractuelle - Conflits commerciauxConstruction, Immobilier et UrbanismeDans une récente décision du 3 juillet 2025, la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur le recours à la tierce opposition en matière de récusation d’expert judiciaire, dans le cadre d’un litige de construction immobilière. Un entrepreneur avait assigné plusieurs personnes inter...
-
Etendue de la responsabilité de l’architecte chargé d’une mission complète de maitrise d’œuvre envers le maître d’ouvrage
Publié le : 28/11/2024 28 novembre nov. 11 2024Construction, Immobilier et UrbanismeCass. 3e civ., 7 nov. 2024, n° 23-12.315, Publié au bulletin. Les obligations de l'architecte, principalement établies par le décret n° 80-210 du 20 mars 1980 portant Code des devoirs professionnels des architectes, varient selon l'étendue de la mission qui leur est confiée. Cette missio...
-
DELAI D’APUREMENT DE LA DETTE LOCATIVE ET APPLICATION DANS LE TEMPS D’UNE LOI PLUS FAVORABLE AUX BAILLEURS
Publié le : 18/09/2024 18 septembre sept. 09 2024Construction, Immobilier et UrbanismeCour de cassation, Civile 3e, Avis du 13 juin 2024, n°24-70.002 Les rapports locatifs portant sur les baux d’habitation sont, pour la plupart, régis par les dispositions de la Loi n°89-462 du 6 Juillet 1989. Notamment, son article 24 décrit les conditions dans lesquelles un bailleur,...
-
Pas de garantie décennale pour les travaux sur les constructions existantes
Publié le : 18/04/2024 18 avril avr. 04 2024Construction, Immobilier et UrbanismePar un arrêt du 21 mars 2024, la 3ème chambre civile revient sur sa jurisprudence relative à la garantie décennale résultant de l’installation d’équipements sur existants. En refusant à ces derniers la qualification d’ouvrage, elle les exclut du carcan de la garantie décennale et biennale d...
-
PRÉCISIONS SUR LE CHAMP D’APPLICATION DE L’OBLIGATION D’ASSURANCE DÉCENNALE DU CONSTRUCTEUR
Publié le : 26/07/2023 26 juillet juil. 07 2023Construction, Immobilier et UrbanismeAssuranceAmorce : L’obligation de souscrire à une assurance décennale ne s’applique pas pour la construction de certains ouvrages. Dès lors, l’exclusion de l’obligation d’assurance, au sens de l’article L.243-1-1, s’étend-elle aux accessoires d’un ouvrage exclu ? Le cas étudié permet d’éclairer cett...
-
Construire en zone agricole : la protection de l’espace rural comme ambition
Publié le : 21/07/2023 21 juillet juil. 07 2023Construction, Immobilier et UrbanismeDroit rural, droit viticoleAmorce : Voici deux principes fondamentaux dans le règlement du PLU : le principe de réciprocité et le principe de nécessité. Dans quelle mesure manifestent-ils l’ambition de protéger l’espace dont jouissent les agriculteurs et les tiers, tout en assurant la cohérence du projet d’exploitati...