
Nullité d’une clause de non-concurrence : l’action en concurrence déloyale, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, reste possible.
Auteur : Muriel Bourlioux et Ghislaine Betton
Publié le :
28/02/2022
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2022
Cass. Com. 1er décembre 2021, n°19-26.181
Une clause de non-concurrence peut être insérée dans contrat de travail d’un salarié, ou dans le contrat de cession de parts d’un associé, permettant ainsi à l’entreprise d’être protégée de la concurrence que ceux-ci pourraient exercer suite à leur départ de la société.
Pour que cette clause soit licite, celle-ci doit répondre à certains critères. Elle doit d’abord être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise. Ensuite, elle doit être limitée dans le temps et dans l’espace. Elle doit tenir compte des spécificités de l’emploi du salarié/associé, et enfin comporter une contrepartie financière.
Si la clause de non-concurrence ne répond pas à l’un de ces critères cumulatifs, elle sera considérée comme nulle. En revanche, bien que la clause de non-concurrence soit nulle, il n’en demeure pas moins que le créancier d’une telle clause dispose d’autres fondements afin d’agir en justice contre son débiteur.
C’est précisément ce dernier cas qu’illustre l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 1er décembre 2021.
Après avoir cédé à son associé l’intégralité des parts qu’il détenait dans une société, un salarié, ayant démissionné de ses fonctions de dirigeant et ayant mis fin à son contrat de travail par une rupture conventionnelle, a créé une société concurrente.
Or, cet ancien salarié était soumis à une clause de non-concurrence qu’il avait contractée à son départ de la société, dans le cadre de la cession de ses parts sociales.
Si la clause de non-concurrence s’est révélée nulle, compte tenu de l’absence de contrepartie financière, l’entreprise a néanmoins assigné son ancien salarié/associé, ainsi que l’entreprise nouvellement constituée, en paiement de dommages et intérêts, du fait d’actes de concurrence déloyale.
La Cour d’appel a fait droit à la demande de l’entreprise, jugeant qu’elle avait souffert d’un préjudice du fait d’actes de concurrence déloyale de la part de l’ancien salarié et de la nouvelle société.
Le salarié a contesté cette décision, rappelant le principe de non-cumul des deux types de responsabilité, contractuelle et délictuelle. En effet, selon lui, le créancier d’une obligation contractuelle ne peut se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle. Autrement dit, l’ancien salarié estimait que dans la mesure où la clause de non concurrence qu’il avait contractée était nulle, le débat était clos et que son ancien employeur/associé n’était donc pas fondé à agir contre lui en justice.
La Cour de cassation, à son tour, a rejeté le moyen avancé par le salarié/associé. Bien que la Cour ait rappelé que le principe de non-cumul des deux ordres de responsabilité interdit au créancier d’une obligation contractuelle de se prévaloir des règles de la responsabilité délictuelle contre le débiteur de cette obligation, elle précise qu’il existe une exception lorsque le créancier invoque des faits distincts de ceux évoqués dans le cadre de la responsabilité contractuelle.
En l’espèce, il a été démontré que le salarié avait commis des actes graves de déloyauté, tant dans le transfert des dossiers appartenant à son employeur sur sa messagerie personnelle, alors qu’il préparait la création de sa nouvelle société, que dans la signature de contrats avec des personnes qu’il avait connues dans les fonctions qu’il avait exercées au sein de l’ancienne structure.
L’arrêt retient encore que, au cours des derniers mois de son activité au sein de l’ancienne société, il a rencontré et prospecté plusieurs clients, et qu’en dépit de son obligation de loyauté, il leur a révélé être en délicatesse avec son associé et s’apprêter à quitter la société. La Cour a également constaté que la divulgation à des tiers de dissensions internes à la société a participé au dénigrement de celle-ci, puisqu’elle a eu pour effet de jeter le discrédit sur la société et de dissuader des clients potentiels de contracter avec elle, lui préférant la société nouvellement créée par l’ancien salarié.
Cette déloyauté est encore renforcée par les découvertes mises à jour par un constat d’huissier, qui a révélé que, alors que l’ancien salarié négociait les conditions de la rupture de son contrat de travail, il a continué à transférer de sa messagerie professionnelle vers sa messagerie personnelle un grand nombre de documents appartenant à son ancien employeur, pour les utiliser ensuite au profit de sa nouvelle société, et afin de finaliser des projets de contrats précédemment préparés pour le compte de son ancien employeur.
De ces constatations, il résulte qu’étaient invoquées contre l’ancien salarié des fautes reposant sur des faits distincts de la seule violation de la clause de non-concurrence, ce dont la cour d’appel avait pu déduire, à juste titre, sans avoir à constater la nullité de la clause de non-concurrence, que les fautes de concurrence déloyales imputées à l’ancien salarié relevaient de la responsabilité délictuelle, et qu’elle pouvaient donc être sanctionnées et donner lieu à paiement de dommages et intérêts au profit de l’ancien employeur/ associé.
Ainsi, même en présence d’une clause de non-concurrence nulle, le débiteur demeure soumis au respect du principe de loyauté, toujours applicable dans le monde des affaires.
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