
Dirigeants de SAS: Dans le silence des statuts, la révocation ne nécessite pas de juste motif.
Auteurs : Julien Skeif, Ghislaine Betton
Publié le :
02/05/2022
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En droit des sociétés, la révocation des dirigeants sociaux constitue sans doute l'une des questions les plus sensibles, comme en témoigne un contentieux demeurant abondant malgré de nombreuses précisions jurisprudentielles.
Ceci est particulièrement vrai pour les sociétés par actions simplifiées (SAS), dont le nombre ne cesse de croitre, et pour lesquelles la grande liberté octroyée par le législateur dans la rédaction des statuts a tendance à diversifier la problématique.
Rappelons qu’en la matière, le principe de libre révocabilité des dirigeants sociaux postule que les associés ne sont jamais tenus de conserver un mandataire social en fonction.
Pour autant, deux types de révocations existent en pratique :
- La révocation dite ad nutum, qui dispense totalement les associés de justifier leur décision, et leur permet de révoquer le dirigeant à tout moment, sans motifs particuliers, et sans rapporter la preuve d’une quelconque faute de ce dernier.
- La révocation dite pour juste motif, qui les oblige au contraire à justifier d’une faute de gestion du dirigeant ou d’une attitude qui, bien que non fautive, est de nature à compromettre l’intérêt social ou le fonctionnement de la société. À défaut, le dirigeant pourra prétendre à une indemnisation.
À l’inverse, le président du conseil d’administration, les administrateurs, les membres du conseil de surveillance des SA et des SCA sont révocables ad nutum.
Pour les SAS, les solutions sont plus nuancées puisque, dans le silence de la loi, ce sont les statuts sociaux qui fixent les causes et modalités de révocation des dirigeants[1].
Or, quid lorsque ceux-ci sont muets sur le sujet ?
Un arrêt rendu par la Cour de cassation le 9 mars 2022[2] et publié au bulletin répond à cette question.
En l’espèce, le directeur général d'une SAS holding, exerçant aussi les fonctions de directeur général d'une SAS filiale et de gérant d'une SARL, a été révoqué de l'ensemble de ses mandats.
Mécontent, ce dernier a assigné ces sociétés en paiement de dommages-intérêts, faisant notamment valoir que les révocations étaient intervenues sans juste motif.
Débouté en appel[3], il a formé un pourvoi en cassation, reprochant aux juges du fond d’avoir considéré que les modalités de révocation de son mandat de directeur général de la SAS n'étaient pas fautives, et que sa révocation était régulière.
Plus précisément, il était soutenu qu'en l'absence de mention statutaire dispensant la société de justifier d'un motif pour procéder à la révocation du dirigeant, celle-ci ne pouvait intervenir que pour un juste motif.
La question était donc de savoir si, dans le silence de la loi et des statuts, les associés étaient tenus de caractériser un tel motif ou si la révocation du dirigeant pouvait au contraire intervenir ad nutum.
La juridiction suprême a tranché en faveur de la seconde solution, approuvant les juges d’appel d’avoir :
- Énoncé que les conditions dans lesquelles les dirigeants d'une SAS peuvent être révoqués de leurs fonctions sont, dans le silence de la loi, librement fixées par les statuts, qu'il s'agisse des causes de la révocation ou de ses modalités,
- Constaté que les statuts de la société stipulaient que les dirigeants autres que le président étaient révocables à tout moment par l'associé unique ou, en cas de pluralité d'associés, par l'assemblée générale ordinaire des associés sur proposition du président,
- Et retenu que, sauf à ajouter aux statuts, ceux-ci ne conditionnaient pas la révocation du dirigeant à l'existence de justes motifs et que la révocation du directeur général de la société pouvait intervenir sans qu'il soit nécessaire d’en justifier.
Si les statuts de la SAS ne prévoient rien, le principe demeure donc bien celui de la révocation ad nutum.
Pour autant, on rappellera que même dépourvue de motifs, la révocation ne doit pas être brutale, vexatoire ou injurieuse, c’est-à-dire s'accompagner de circonstances portant atteinte à la réputation ou à l'honneur du dirigeant démis de ses fonctions.
À défaut, cette révocation sera qualifiée d’abusive et susceptible d’ouvrir droit à une indemnisation.
Ainsi, même si la décision étudiée confirme toute la souplesse octroyée aux associés dans le choix de leur mandataire social, il demeure recommandé d’observer une certaine mesure en pratique et d’anticiper autant que possible certaines situations conflictuelles.
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