
LA RUPTURE BRUTALE DE LA RELATION COMMERCIALE ETABLIE ET LE RESPECT D’UN PREAVIS
Auteur : Morgane KERMOYAN et ALEXIS PELLICER
Publié le :
28/05/2025
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Cass. Com. 19 mars 2025, n°23-23.507
La responsabilité pour rupture brutale d’une relation commerciale établie, d’ordre public[1], a initialement été instaurée pour lutter contre la pratique du déréférencement brutal de fournisseurs par la grande distribution.
Pour cela, l’article L.442-1 II du Code de commerce dispose : « engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé par le fait […] de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ».
Concrètement, la partie qui rompt de manière brutale la relation commerciale établie, engage sa responsabilité extracontractuelle[2], la rupture brutale étant caractérisée par l’absence d’un préavis suffisant ainsi que par les conditions d’exécution de celui-ci.
C’est justement sur la question des conditions d’exécution du préavis que la Chambre commerciale de la Cour de cassation a été amenée à se prononcer dans sa récente décision du 19 mars 2025.
En l’espèce, la célèbre société Decathlon, spécialisée dans la vente d’articles de sports et de loisirs, distribuait depuis 23 ans des appareils d’électrostimulation produits et fournis par la société Sport Elec.
Toutefois, par courrier du 26 janvier 2018, la société Decathlon a notifié au fournisseur Sport Elec sa décision de rompre leur relation commerciale à compter du 1er janvier 2021 tout en précisant que ses achats seraient réduits progressivement jusqu’à la date de rupture prévue en vue d’un arrêt total et définitif de leur relation.
Par suite, le fournisseur Sport Elec a assigné la société Decathlon en responsabilité devant le Tribunal de Commerce sur le fondement de l’article L.442-1 II du Code de commerce. Le fournisseur reproche à la société Decathlon d’avoir brutalement rompu leur relation commerciale établie en n’ayant pas maintenu leur relation aux conditions antérieures pendant la durée du préavis de 35 mois. Le fournisseur a ainsi sollicité du juge la condamnation de la société Decathlon à l’indemniser pour son préjudice causé par ladite rupture brutale de leur relation.
La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 13 septembre 2023, n’a pas fait droit à la demande du fournisseur. Les Juges d’appel ont procédé à une appréciation rigoureuse des modalités de la rupture de cette relation pour finalement estimer que les circonstances ne caractérisaient pas une rupture brutale de leur relation commerciale établie.
Le fournisseur a alors formé un pourvoi en cassation mais la Chambre commerciale de la Cour de cassation, statuant dans le même sens, a rejeté son pourvoi.
Pour la Cour de cassation, les juges d’appel ont justement rappelé que « le délai de préavis dû par l’auteur de la rupture d’une telle relation doit s’entendre du temps nécessaire à l’entreprise délaissée pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement ». En effet, le préavis permet au contractant qui subit la rupture de la relation commerciale de réorganiser son activité.
Sur ce point, il faut rappeler que le respect d’un préavis contractuel ne suffit pas à écarter l’appréciation par le juge du caractère brutal de la rupture[3]. Dans tous les cas, l’appréciation de la durée de préavis suffisante relève de l’appréciation souveraine des juges du fond[4].
Ainsi, dès lors que l’auteur de la rupture aménage une cessation progressive de la relation commerciale au cours du préavis, la notion de brutalité doit être écartée.
Néanmoins, s’il est possible de prévoir un désengagement progressif pendant la durée du préavis, aucune modification substantielle ne doit être apportée.
En effet, il est acquis que le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures pendant le préavis s’impose sauf circonstances particulières[5]. En effet, pendant la durée du préavis, la relation commerciale doit se poursuivre aux conditions antérieures de telle façon que les modifications qui peuvent être apportées ne doivent pas être substantielles[6]. Sur ce point, le distributeur qui avait diminué de façon importante le volume de commandes auprès d’un fournisseur durant le préavis avait été jugé responsable d’une rupture brutale des relations commerciales[7].
Dès lors, dans sa décision du 19 mars 2025, la Cour de cassation a rappelé que le préavis accordé à la suite de la rupture d’une relation commerciale établie doit être effectif, de sorte que, sauf circonstances particulières, la relation commerciale doit se poursuivre aux conditions antérieures pendant l’exécution du préavis, ce qui implique que les modifications qui peuvent lui être apportées ne doivent pas être substantielles.
Pour la Cour de cassation, la première année de préavis a été exercée sans modification substantielle comparée à l’année précédant la notification de la rupture de la relation commerciale et le préavis d’une durée de deux ans constitue une circonstance particulière justifiant que la relation ne soit pas maintenue aux conditions antérieures pendant toute la durée du préavis. Elle a, en conséquence, écarté la caractérisation d’une rupture brutale par le distributeur.
En somme, la durée particulièrement longue du préavis consenti par la société Decathlon justifiait l’existence de circonstances particulières l’autorisant à ne pas maintenir les conditions antérieures au-delà de la première année d’exécution du préavis, de sorte que la rupture de la relation commerciale établie à l’initiative de la société Decathlon n’était pas brutale.
Dès lors, la Cour de cassation autorise que les conditions antérieures de la relation commerciale ne soient pas maintenues pendant toute la durée du préavis compte tenu de la durée de ce dernier.
Fort de son expertise, le Cabinet Pivoine Avocats vous conseille et vous accompagne dans vos actions fondées sur la rupture brutale de la relation commerciale établie.
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[1] Cass. Com. 16 décembre 2014, n°13-21.363
[2] Cass. Com. 6 février 2007, n°04-13.178
[3] Cass. Com. 20 mai 2014, n°13-16.398 ; Cass. Com. 6 mars 2007, n°05-18.121
[4] Cass. Com. 2 octobre 2019, n°17-24.135 ; Cass. Com. 11 mai 2017, n°16-13.464
[5] Cass. Com. 10 février 2015, n°13-26.414
[6] Cass. 1e civile, 7 septembre 2022, n°21-12.704
[7] CA Paris, chambre 5, 23 mai 2023
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