
Point sur le client mystère en concurrence déloyale
Auteur : Julien Skeif et Ghislaine Betton
Publié le :
17/12/2021
17
décembre
déc.
12
2021
Aux termes de deux arrêts en date du 10 novembre 2021 , la Cour de cassation apporte quelques importantes précisions sur le recours au « client mystère ».
Le principe est simple : une personne se rend sur le lieu d’exercice de l’activité incriminée en se faisant passer pour un simple client, afin de constater et rendre compte de certains aspects litigieux de celle-ci.
Ce procédé est fréquemment utilisé dans le domaine de la concurrence déloyale, où la démonstration d’une pratique implique souvent que son auteur n’ait pas été préalablement avisé.
Pour autant, comme vient de rappeler la Cour de cassation, tout n’est pas permis lorsqu’il s’agit d’administration de la preuve.
En l’espèce, un syndicat professionnel d’opticiens avait organisé la visite de « clients mystère » auprès de différents magasins d'optique.
Le but était de démontrer une pratique frauduleuse consistant à augmenter le prix des verres en diminuant corrélativement le prix des montures sur les factures, afin de faire prendre en charge une part plus importante du prix des montures par les mutuelles des clients.
Par suite, se prévalant des témoignages de ces « clients », le syndicat a assigné deux sociétés d’opticiens afin d’obtenir la cessation des actes de concurrence déloyale et le paiement de dommages-intérêts.
Pour leur défense, celles-ci faisaient notamment valoir que le recours aux « clients mystère » était encadré par certaines conditions non respectées, et que les attestations afférentes devaient être déclarées irrecevables, car contraires au principe de loyauté de la preuve.
Saisis de la question, les juges du fond lyonnais et parisiens ont favorablement accueilli cet argumentaire.
Il est vrai que les circonstances dans lesquelles les témoignages avaient été obtenus étaient singulières puisque leurs auteurs étaient rémunérés par une société spécialisée, et avaient, pour certains, déjà rédigé des attestations pour le syndicat par le passé.
Dès lors se posait la question de savoir si de telles circonstances étaient de nature à faire obstacle à la recevabilité de leurs attestations.
C’est sur ce point que la Cour de cassation s’est prononcée dans les arrêts étudiés.
Pour mémoire, la jurisprudence civile et commerciale fait de la loyauté dans l’administration de la preuve un principe autonome cardinal, fondé sur les l’article 9 du code de procédure civile et l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme.
Ce principe s’oppose notamment aux enregistrements clandestins de conversations, au fait de filmer certaines personnes sans leur autorisation ou, de manière générale, aux stratagèmes mis en place pour « piéger » leurs victimes et obtenir un élément de preuve à leur insu.
Par suite, l’élément de preuve acquis en méconnaissance de cette règle doit être déclaré irrecevable par le juge, qui ne pourra en conséquence pas en tenir compte dans sa décision.
En l’espèce, après avoir rappelé les circonstances précitées, la Cour reprend les motivations des juridictions d’appel, selon lesquelles il existait notamment :
- Une relation d’affaires entre le syndicat et la société chargée d’établir les témoignages ;
- Une certaine professionnalisation des « clients mystère », de nature à faire douter de leur parfaite neutralité ;
- Et une potentielle incitation à la fraude, en ce que ceux-ci ont d’emblée appelé l’attention des opticiens sur les montants de prise en charge des verres et montures par leur mutuelle.
Ce faisant, elle approuve les juges du fond d’avoir considéré que les attestations avaient été obtenues de manière déloyale et étaient en conséquence irrecevables.
Faut-il en déduire que le recours au « client mystère » est désormais proscrit ?
À notre sens, une telle conclusion serait hâtive.
Pour l’heure en effet, ces arrêts nous apprennent simplement que cette technique ne doit pas dissimuler un stratagème mettant en doute la neutralité des auteurs des attestations.
Afin d’éviter une telle hypothèse, il convient d’avoir recours à ce procédé de manière précautionneuse et proportionnée, en tenant compte du but recherché, et en sollicitant préalablement le concours du juge sur requête ou celui d’un huissier de justice si nécessaire.
Fort de son expérience en matière de concurrence déloyale, le cabinet PIVOINE vous accompagne dans la recherche et l’administration de preuves pour préserver vos droits et reste à votre service pour vous permettre d’anticiper et de préparer vos litiges.
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Historique
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