
Litige entre concurrents : l’exception à la protection du secret des affaires applicable dans le cadre de la production d’une preuve (Cass. Com. 5 juin 2024, n°23-10.954)
Publié le :
11/10/2024
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2024
Après avoir admis qu’un « guide d’évaluation des points de vente » contenant des conseils à destination de franchisés leur permettant d’améliorer leur rentabilité était un document couvert par le secret des affaires, la Cour de cassation a censuré l’arrêt d’appel en ce qu’elle avait considéré la production de cette pièce constitutive d’une violation du secret des affaires.
En l’espèce, l’affaire oppose la société AGORA - franchisée de la société Speed Rabbit Pizza - exploitant un point de vente de pizzas à emporter et sa concurrente – à une société filiale de Domino’s Pizza France (plus tard absorbée par cette dernière) exerçant une activité identique.
Se plaignant de l’octroi de délais de paiement excessifs au bénéfice de sa concurrente de la part de son franchiseur, la société AGORA a assigné Domino’s Pizza France, lui reprochant la commission d’actes de concurrence déloyale.
Dans le cadre de cette procédure, la société attaquée sollicitait à titre reconventionnel une condamnation au paiement de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, reprochant à la demanderesse d’avoir produit au procès une pièce couverte par le secret des affaires, et obtenue selon elle de manière déloyale.
La Cour d’appel, dans un arrêt du 23 novembre 2022 (CA Paris, pôle 5 ch.4, n°22/08310) a fait droit à cette demande et a condamné la demanderesse à verser à Domino’s Pizza France la somme de 30 000 € en réparation du préjudice allégué, pour violation du secret des affaires.
A l’occasion du pourvoi formé par la société condamnée de ce chef, la Cour de Cassation a construit un raisonnement en deux temps.
Dans un premier temps, la Cour a rappelé les conditions classiques de la protection d’une information au titre du secret des affaires, prévues par l’article L.151-1 du Code de commerce :
- L’information n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ;
- L’information revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;
- L’information fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret.
Dans un second temps, la Cour est venue préciser les conditions de la production d’une pièce couverte par le secret dans le cadre d’une action judiciaire, en mettant en balance le secret des affaires et le droit de la preuve.
Le code de commerce prévoit effectivement un régime d’exception à la protection du secret des affaires. L’article L.151-8 du Code de commerce dispose notamment :
« A l'occasion d'une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret n'est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue :
(…)
3° Pour la protection d'un intérêt légitime reconnu par le droit de l'Union européenne ou le droit national. »
Dans son arrêt, la Cour intègre pleinement l’exercice du droit à la preuve dans le régime d’exception au secret des affaires prévu cet article, et admet que la production d’une pièce couverte par le secret peut être justifiée par la protection d’un intérêt légitime.
En effet, au visa des articles L.151-8 précité et 6 paragraphe 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales - qui consacre le droit à un procès équitable – la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au motif que la Cour aurait dû rechercher si la pièce litigieuse produite était indispensable à l’exercice du droit de la preuve et si l’atteinte au secret était strictement proportionnée au but poursuivi, les deux conditions réunies pouvant permettre de justifier la production d’une pièce protégée par le secret.
Cette question devrait ainsi être tranchée par la Cour d’appel de renvoi, qui devra vérifier in concreto les deux conditions à propos de la production de la pièce litigieuse.
Affaire à suivre donc…
Cette décision s’inscrit finalement dans le droit fil de la décision rendue en matière sociale par l’assemblée plénière de la Cour de cassation le 22 décembre 2023 (Cass. Ass. Plén. 22 déc. 2023 n°20-20.648), qui pour rappel, avait posé le principe selon lequel « l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats ».
Le contentieux des affaires semble donc bel et bien concerné par la portée de cet arrêt précédemment rendu en matière sociale, et qui, de par la formulation utilisée, avait effectivement vocation à concerner tout « procès civil ».
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