
L’indemnité d’éviction : Une notion complexe entre pratique contractuelle et pratique contentieuse
Auteurs : Ghislaine Betton, Alice Herole, Jeanne Pandraud
Publié le :
19/12/2024
19
décembre
déc.
12
2024
Le droit au renouvellement propre au statut des baux commerciaux est d’ordre public, comme l’exprime l’article L 145-15 du Code de commerce. Par suite, tout congé délivré au preneur par le bailleur donne lieu à une indemnité d’éviction prévue à l’article L 145-14 du Code de commerce.
L’indemnité d’éviction est une notion complexe à appréhender tant au stade de la rédaction du bail commercial, qu’au stade de son contentieux, impliquant le plus souvent son évaluation par un expert judiciaire désigné en référé par le Président du Tribunal Judiciaire du lieu de situation du bien loué.
L’indemnité d’éviction et la rédaction du bail commercial
Les clauses précisant les modalités de calcul de l’indemnité sont valides si elles ne restreignent pas le droit à indemnisation ou le droit au renouvellement (Cass. 3e civ., 18 janvier 2023, n° 21-22.209). Néanmoins, les clauses de renonciation à l’indemnité d’éviction sont réputées non écrites.En effet, en toute logique, le droit au renouvellement du preneur étant d’ordre public, il n’apparaît pas possible de priver le preneur de son indemnité d’éviction, au stade de la rédaction et de la signature du bail commercial.
L’indemnité d’éviction et sa revendication par le preneur
Lorsqu’un congé est donné, le locataire, titulaire d’un droit au renouvellement, peut exiger une indemnité d’éviction qui sera soumise à plusieurs conditions préalables :- Le locataire doit être inscrit au Registre du commerce et des sociétés (RCS) ;
- Il doit exploiter un fonds de commerce ou une activité artisanale dans les locaux loués ;
- Une exploitation effective du Fonds dans le local pendant au moins 3 ans.
Cependant, l’évaluation de l’indemnité d’éviction nécessite une expertise précise, prenant notamment en compte les qualités du bien loué, son lieu d’implantation, et la valeur du droit au bail.
Ainsi, concrètement, lorsque le bailleur délivre son congé, il délivre – parallèlement – une assignation en référé aux fins de voir désigner un expert judiciaire, ayant pour mission d’évaluer l’indemnité due.
A défaut, le preneur est en droit de mandater un expert privé ou amiable aux fins d’évaluation de l’indemnité, de sorte à tenter une résolution amiable de la situation.
En tout état de cause, le preneur est également en droit de solliciter, lui-même, par la voie du référé, le prononcé d’une expertise judiciaire aux fins d’évaluation de l’indemnité.
Au dépôt du rapport d’expertise relatif à l’évaluation de l’indemnité, soit les parties s’accordent sur son montant et transigent, soit le preneur assigne le bailleur devant le Tribunal Judiciaire, afin de recouvrer le montant de l’indemnité qu’il estime du au regard du rapport délivré.
L’évaluation du montant de l’indemnité d’éviction
L’expert saisi d’une mission d’évaluation de l’indemnité d’éviction, doit calculer une indemnité principale, et des indemnités accessoires.Plus précisément, concernant l’indemnité principale, l’expert peut identifier, en fonction des circonstances, deux types d’indemnités :
- Lorsqu’il s’avère, lors des opérations d’expertise, que le preneur peut déplacer son fonds de commerce sans perdre sa clientèle, en ce cas l’Expert retient l’existence d’une indemnité principale dite de transfert ou de déplacement.
- Lorsque l’Expert identifie que le preneur ne peut pas déplacer son fonds dans un autre local sans perdre sa clientèle, en ce cas il retient l’existence d’une indemnité dite de remplacement. Effectivement, dans ce cas il estimera que le preneur perd son fonds de commerce.
S’agissant des indemnités accessoires, en fonction, l’Expert pourra calculer, notamment :
- Les frais de remploi ;
- Les frais de réinstallation ;
- Les pertes liées à des aménagements spécifiques ;
- Les frais administratifs ;
- Le trouble commercial
En revanche, si l’indemnité d’éviction entraîne une augmentation de la valeur du fonds du propriétaire (reprise des locaux pour revente, transformation ou exercice de la même activité que le locataire sortant), elle est intégrée au prix de revient de l’actif.
Compensation entre indemnité d’éviction et indemnité d’occupation
L’indemnité d’éviction et l’indemnité d’occupation vont souvent de pair. Cette association est permise grâce à l’article L. 145-28 du Code de commerce, qui permet au locataire de rester dans les lieux jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction.Toutefois, s’il choisit de rester, il doit s’acquitter d’une indemnité d’occupation calculée selon la valeur locative des locaux, non selon le loyer du bail précédent. Cette indemnité peut être déduite de l’indemnité d’éviction.
Privation de l’indemnité d’éviction
Le principe du droit à l’indemnité d’éviction peut souffrir d’exception. En effet, l’article L145-17 du Code de commerce pose les trois exceptions à l’indemnité d’éviction ;- Lorsque le bailleur justifie d’un motif grave ET légitime à l’encontre du locataire sortant.
- Lorsqu’il est établi que l’immeuble doit être totalement ou partiellement démoli suite à son état d’insalubrité et donc qu’il ne peut être occupé sans danger en raison de son état.
- Il est aussi à préciser que, l’indemnité d’éviction n’est pas due lorsque le bailleur ou ses ayants droits décident de reconstruire un nouvel immeuble, dans lequel le locataire a un droit de priorité pour louer dans ce nouveau bien.
Le Cabinet Pivoine est à vos côtés pour vous conseiller s’agissant du droit au renouvellement propre aux baux commerciaux, ainsi que concernant le droit à l’indemnité d’éviction en cas de congé.
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