
Exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit et biens ruraux loués à long terme apportés à un GFA
Auteurs : Ghislaine Betton, Alice Herole et Flavie Bost
Publié le :
27/06/2022
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2022
La Cour d’appel de Caen vient d’affirmer dans une décision, du 16 novembre 2021, que l’exonération des droits de mutation à titre gratuit, prévue aux articles 793 et 793 bis CGI, pour les biens ruraux loués à long terme conservés pendant 5 ans par les héritiers, donataires, ou légataires, est maintenue même si ces derniers décident d’apporter ces biens à un Groupement Foncier Agricole (GFA) avant le terme du délai de 5 ans.
Une décision prise à l’encontre de l’application d’une doctrine administrative stricte :
Cet arrêt était loin d’être évident.En effet, l’article 793 du CGI prévoit une liste dans laquelle :
« Sont exonérées des droits de mutation à titre gratuit : (…)
3° Les biens donnés à bail dans les conditions prévues aux articles L. 416-1 à L. 416-6, L. 416-8 et L. 416-9 ainsi qu'aux articles L. 418-1 à L. 418-5 du code rural et de la pêche maritime, à concurrence des trois quarts de leur valeur, sous réserve des dispositions de l'article 793 bis »
L’article 793 bis du même code précise, quant à lui, que :
« l’exonération partielle prévue au 4°du 1 et au 3° du 2 de l’article 793 est subordonnée à la condition que le bien reste la propriété du donataire, héritier et légataire pendant 5 ans à compter de la date de transmission à titre gratuit ».
Il résulte de ces textes que sont exonérés à concurrence des trois quarts de leur valeur des droits de mutation à titre gratuit, les biens donnés à bail à long terme, à la condition que ces biens restent la propriété du donataire, héritier ou légataire pendant cinq ans à compter de la transmission à titre gratuit.
Sur ce principe, l’Administration fiscale a établi une doctrine très restrictive référencée BOI-ENR-DMTG 10-20-30-20.
Celle-ci consiste à remettre en cause l’exonération précitée dans l’hypothèse où l’héritier, le donataire ou le légataire fait apport des biens ruraux loués à long terme à un GFA, avant le terme de l’obligation légale de conservation de 5 ans, et ce même si les parts sont conservées pendant toute cette durée.
Les Juges de première instance, et la Cour d’appel de Caen, ont fort heureusement écarté cette position stricte, dans leurs décisions.
Un arrêt en cohérence avec l’esprit de la législation :
L’espèce de la décision rendue est la suivante :A la mort de leur mère, six héritiers ont reçu des parcelles agricoles louées à long terme. A cet égard, ils ont obtenu une exonération des droits de mutation à titre gratuit, conformément aux articles 793 3° et 793 bis du CGI.
Trois mois après le dépôt de la déclaration de succession, ils ont constitué un GFA, auquel ils ont apporté la pleine propriété de la quasi-totalité des parcelles ayant bénéficié de l’exonération.
L’Administration fiscale a donc décidé de remettre en cause l’exonération initialement accordée, et a adressé aux héritiers une proposition de rectification, comportant la réintégration à l’actif de la succession de la valeur des biens ruraux donnés à bail à long terme, avec application d’une majoration de 40 %.
Par la suite, un avis de mise en recouvrement a été émis par le Service des Impôts des Entreprises pour un montant de 142.912 €.
Les héritiers ont formulé une réclamation auprès de l’Administration fiscale, mais elle a été rejetée.
Ces derniers n’ont donc pas eu d’autre choix que d’assigner la Direction Générale des Finances Publiques.
Les premiers Juges ont admis la réclamation contentieuse, en reconnaissant que les héritiers étaient bien restés les propriétaires des parcelles reçues en héritage et, qu’à ce titre, l’exonération des droits de mutation à titre gratuit ne pouvait pas être remise en cause en raison de l’apport desdites parcelles à un GFA.
Un dégrèvement de 142.912 € a, alors, été prononcé au profit des héritiers.
Suite au recours de l’Administration fiscale, la Cour d’appel de Caen a confirmé la décision des premiers Juges, aux motifs suivants :
- L’article 793 bis du CGI qui exige que les biens reçus par un héritier ou un donataire soient conservés pendant 5 ans, ne précise pas si cette conservation exige une propriété directe ou indirecte ;
- L’article 793 4° du CGI, exonère des droits de mutation, les parts des groupements fonciers agricoles sous certaines conditions, dont notamment celle selon laquelle les immeubles à destination agricole constituant le patrimoine du groupement aient été donnés à bail à long terme dans les conditions prévues par les articles L 416-1, L 416-6, L 416-8, et L 416-9 du Code rural et de la pêche maritime, ce qui tend à démontrer la volonté du législateur de favoriser le maintien des exploitations agricoles et leur gestion ;
- L’administration fiscale ne peut, sans se contredire, poser comme principe, dans sa doctrine, que l’exonération partielle des droits de mutation n’est pas remise en cause en cas d’apport en jouissance à une société civile quelle qu’en soit la forme, ou d’un apport à un GAEC, et refuser le maintien de l’exonération en cas d’apport à un GFA familial destiné à conserver la propriété des immeubles faisant l’objet de baux à long terme selon la volonté du législateur ;
- L’administration ne peut pas, non plus, se prévaloir d’une réponse ministérielle à la question écrite d’un sénateur du 7 juin 1990 relative à une situation similaire qui a été donnée, dans un contexte qui n’est plus celui de 2014, et qui ne lie pas le juge.
Les héritiers, donataires ou légataires de biens ruraux loués à long terme, reçus lors d’une succession, peuvent – bien sûr – apporter ces biens à un GFA afin seulement d’optimiser leur gestion.
Ceci ne remet pas en cause leur intention de conserver les biens pendant une durée de 5 ans, par l’intermédiaire des parts détenues dans le GFA.
En revanche, si les héritiers, donataires ou légataires décidaient de ne pas conserver les parts du GFA, bénéficiaire de l’apport, pendant une durée de 5 ans, alors l’Administration fiscale pourrait légitimement remettre en cause l’exonération des droits de mutation à titre gratuit.
Petit rappel important, la doctrine administrative ne peut pas servir de base légale à un redressement
Comme l’évoque la Cour d’appel dans son arrêt, la doctrine administrative, élaborée par l’Administration fiscale, n’a pas de valeur législative, ni même réglementaire.L’Administration fiscale ne pouvait donc pas fonder le redressement des héritiers sur la base de sa doctrine !
Le Cabinet Pivoine est à vos côtés pour vous assister dans le cadre de l’optimisation de la gestion de vos biens ruraux par la constitution d’un Groupement Foncier Agricole, ou de tout autre structure sociétaire.
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