Tour d’horizon quant au délit de banqueroute dans le cadre des procédures de redressement
Auteurs : Laudine Malatray, Guillaume Sauray et Ghislaine Betton
Publié le :
17/12/2021
17
décembre
déc.
12
2021
1. Le Titre V du Livre VI du Code de commerce intitulé « Des responsabilités et des sanctions » régit, comme son nom l’indique, la responsabilité et les sanctions à l’encontre des dirigeants, dans le cadre d’une procédure collective.
Différents types de sanctions peuvent être prononcées, après caractérisation de fautes de gestion commises par l’exploitant ou le dirigeant de droit ou de fait, à savoir :
- Les sanctions professionnelles (articles L.653-1 à L.653-11 du Code de commerce) telles que la faillite personnelle et l’interdiction de gérer.
- La condamnation des dirigeants de droit et/ ou de fait dans le cadre d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif (articles L.651-1 à L.651-4 du Code de commerce et anciennement « action en comblement de passif ») : il s’agit d’une sanction pécuniaire prononcée à l’encontre du dirigeant ayant commis une faute de gestion qui a contribuée à l’insuffisance d’actif.
Néanmoins, il ne s’agit pas des seules sanctions qui peuvent être prononcées dans un tel cadre.
En effet, au titre de ces sanctions figure également la banqueroute, sanction pénale consacrée aux articles L. 654-1 à L. 654-7 du Code de commerce.
2. Souvent méconnue, la banqueroute peut concerner les commerçants, artisans, dirigeants sociaux ou toutes personnes exerçant une activité indépendante et libérale (articles L. 654-1 et suivants du Code de commerce). Elle sanctionne un comportement fautif portant atteinte au gage commun des créanciers.
La condamnation d’une personne du chef de ce délit suppose l’ouverture préalable d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire et, d’autre part [mais il s’agit d’un corollaire], de la constatation d’un état de cessation des paiements de l’entité concernée.
Lorsque les deux conditions préalables sont réunies, il reviendra au Ministère Public de caractériser la réalisation d’un des cinq faits constitutifs de cette infraction qui est passible d’une peine d’emprisonnement de 5 ans ainsi que de 75.000 € d’amende, à savoir :
- Avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, soit fait des achats en vue d'une revente au-dessous du cours, soit employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ;
- Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif du débiteur ;
- Avoir frauduleusement augmenté le passif du débiteur ;
- Avoir tenu une comptabilité fictive ou fait disparaître des documents comptables de l'entreprise ou de la personne morale ou s'être abstenu de tenir toute comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation ;
- Avoir tenu une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions légales.
- La distinction entre les différents faits constitutifs de l’infraction est d’une importance singulière dans la qualification du délit de banqueroute, en ce qu’elle aura un impact dans la caractérisation de l’élément intentionnel mais également quant à l’établissement de la date de cessation des paiements.
4. En l’espèce, une SCI a été placé en redressement judiciaire, suivant jugement du 15 octobre 2013. La date d’état de cessation des paiements a été fixée, à cette occasion, au 13 septembre 2013.
Une expertise de gestion a été réalisée par un expert désigné par le Tribunal et a établi des irrégularités comptables relevant, aux termes de l’arrêt, d’une qualification pénale.
5. En première instance, le Tribunal Correctionnel a fixé la date d’état de cessation des paiements au 21 mai 2012, étant rappelé que le juge pénal n’est pas tenu par la décision du Tribunal de la procédure collective quant à la caractérisation de l’état de cessation des paiements.
Les prévenus ont été reconnus coupables du délit de banqueroute au constat de la tenue irrégulière d’une comptabilité de la SCI. Appel a été interjeté.
La Cour d’appel de LIMOGES a, dans un arrêt du 3 juillet 2019, estimé que la date de cessation des paiements devait être fixée au 13 septembre 2013. La Cour a, en outre, relaxé les prévenus après avoir affirmé que « les irrégularités comme le défaut de comptabilité, pour être constitutifs du délit de banqueroute, devaient répondre au but, poursuivi par les prévenus, de retarder la constatation de l'état de cessation des paiements ».
Le Procureur général a formé un pourvoi en cassation.
6. Dès lors, il appartenait, au cas d’espèce, à la Cour de cassation de déterminer si des irrégularités comptables pouvaient entraîner la condamnation des prévenus pour délit de banqueroute malgré que ces irrégularités aient été réalisées antérieurement à la date de cessation des paiements.
En outre, la Haute Juridiction devait établir si le délit de banqueroute par absence de comptabilité ou tenue d’une comptabilité manifestement irrégulière supposait la caractérisation d’un élément intentionnel de la part de son auteur.
- S’agissant de l’impact de la date de l’état de cessation des paiements sur le délit de banqueroute, la Cour a estimé que dans le cas d’une comptabilité manifestement irrégulière ou inexistante, « sa date est sans incidence sur la caractérisation de ces délits, qui peuvent être retenus indifféremment pour des faits commis antérieurement ou postérieurement à la cessation des paiements ».
Dès lors, peu importe la date retenue, le juge répressif pouvant entrer en voie de condamnation pour des faits commis antérieurement, laissant place à une incertitude.
- S’agissant du caractère intentionnel de la faute, la Haute Juridiction estime, au visa de l’article L. 654-2 et 5 du Code de commerce, que « la caractérisation des délits de banqueroute par absence de comptabilité ou tenue d’une comptabilité manifestement irrégulière suppose la seule conscience de son auteur de se soustraire à ses obligations légales ».
La position développée par la Cour induit ainsi un allègement de la charge de la preuve au profit du Parquet, invitant toujours plus les exploitants et dirigeants à se conformer à leurs obligations légales les plus élémentaires.
7. En conclusion, un état de cessation des paiements postérieur à l’absence de tenue de comptabilité ou à une comptabilité incomplète ne fait pas obstacle à la caractérisation du délit de banqueroute.
En outre, le seul fait que l’auteur soit conscient de se soustraire à une obligation légale permet de caractériser l’élément intentionnel ici en jeu.
PIVOINE AVOCAT est à votre disposition pour échanger dès l’apparition des premières difficultés de votre entreprise pour éviter de tels écueils et prendre toute décision permettant de poursuivre votre activité, préserver les emplois tout en ménageant votre responsabilité personnelle.
Nos équipes sont également à votre disposition pour vous assister devant les juridictions répressives.
Historique
-
Date de cessation de paiement lors de l'ouverture d'une procédure en cause d'appel
Publié le : 15/04/2022 15 avril avr. 04 2022Entreprises en difficultésEn application des dispositions del’article L.631-8 du Code decommerce, « Le Tribunal fixe la datede cessation des paiements aprèsavoir sollicité les observations dudébiteur. A défaut de détermination decette date, la cessation des paiementsest réputée être intervenue à la datedu jugement d'o...
-
Extension d’une procédure collective pour confusion des patrimoines : appréciation de la date de réalisation des faits constitutifs en cas de succession de procédures
Publié le : 07/03/2022 07 mars mars 03 2022Entreprises en difficultésSi l’autonomie de la personne morale est un principe (articles 1832 et suivants du Code civil), la réalité économique peut amener les organes de la procédure collective (voire le débiteur lui-même) à porter atteinte audit principe et à étendre une procédure déjà ouverte, à l’encontre d’une au...
-
Eclairage sur le sort d’une demande en paiement d’une créance salariale avant le jugement d’ouverture d’une procédure collective
Publié le : 21/01/2022 21 janvier janv. 01 2022Entreprises en difficultésL’article 369 du Code de procédure civile prévoit, par principe, l’interruption des instances en cours par l’effet du jugement d’ouverture d’une procédure collective. Un tel principe est également rappelé par le législateur à l’alinéa 1er de l’article L.622-21 du Code de commerce. Si l’ins...
-
Contestation de la compétence d’un Tribunal de commerce spécialisé : Exception d’incompétence et non fin de non-recevoir
Publié le : 12/01/2022 12 janvier janv. 01 2022Entreprises en difficultésLa loi n°2015-990 du 6 août 2015 a attribué une compétence particulière à certains tribunaux de commerce, dits « Tribunaux de commerce spécialisés ». Consacrés à l’article L.721-8 du Code de commerce, ceux-ci connaissent des procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciai...
-
SOCIETES : Caractère fautif ou non d’un remboursement de compte-courant
Publié le : 29/12/2021 29 décembre déc. 12 2021Entreprises en difficultésCorporate, droit de sociétés, financementDans quelles mesures un remboursement de compte-courant d’associé quelques temps avant la cessation de paiements et la mise en liquidation judiciaire de la société peut être qualifié de fautif. Par principe, tout associé est, en l’absence de dispositions contraires, en droit d’exiger, à to...
-
Tour d’horizon quant au délit de banqueroute dans le cadre des procédures de redressement
Publié le : 17/12/2021 17 décembre déc. 12 2021Entreprises en difficultésPénal des affaires1. Le Titre V du Livre VI du Code de commerce intitulé « Des responsabilités et des sanctions » régit, comme son nom l’indique, la responsabilité et les sanctions à l’encontre des dirigeants, dans le cadre d’une procédure collective. Différents types de sanctions peuvent être prononcées, a...