Bail commercial : point sur la clause de renonciation à l’indemnité d’éviction
Auteur : Muriel Bourlioux
Publié le :
26/12/2023
26
décembre
déc.
12
2023
Cour de cassation, 3ème Chambre civile, 16 novembre 2023, n°22-14091
Au terme d’un acte notarié du 31 octobre 2003, M. et Mme E ont acquis une villa dans une résidence de tourisme exploitée par la société Gestion patrimoine loisirs.
Parallèlement à cette acquisition, les nouveaux propriétaires ont donné la villa à bail commercial à une société locataire pour une durée de 9 ans à compter de l’achèvement de l’immeuble qui était en cours de construction.
Les années passant, le bail commercial arrive à son terme et se prolonge tacitement.
Le 23 septembre 2014, les propriétaires font signifier à la locataire un congé avec refus de renouvellement, sans offre d’indemnité d’éviction, à effet au 31 mars 2015.
En effet, le bail commercial, rédigé par un agent immobilier, comprenait une clause de renonciation de la locataire à son droit à indemnité d’éviction.
Il faut préciser que, avant la loi Pinel du 18 juin 2014, ce type de clause était sanctionné par la nullité et l’action visant à faire déclarer nulle ladite clause était soumise à une prescription de 2 ans.
Avec la loi Pinel, les clauses de renonciation du locataire à son droit à percevoir une indemnité d’éviction sont désormais réputées non-écrites et l’action visant à faire sanctionner ces clauses n’est plus soumise à aucune prescription.
Suite au congé, les propriétaires ont repris possession de l’immeuble le 5 avril 2015.
Toutefois, le 7 décembre 2015, la locataire les a assignés en annulation du congé, en indemnisation du préjudice résultant de sa dépossession et restitution des locaux loués, et subsidiairement, en paiement d’une indemnité d’éviction.
Le 3 octobre 2016, les bailleurs ont assigné le promoteur immobilier et le notaire en garantie.
La Cour d’Appel de Poitiers puis la Cour de cassation sont saisies de cette affaire.
On en retiendra deux principes essentiels.
Dans un premier temps, la Cour de cassation donne raison à la Cour d’appel d’avoir appliqué le principe selon lequel les clauses ayant pour effet de faire échec au droit au renouvellement sont réputées non écrites.
Cette règle est applicable non seulement aux baux conclus postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi Pinel mais également aux baux en cours.
Pareillement, le caractère imprescriptible de cette règle s’applique immédiatement.
Dès lors, quand bien même la prescription de l’action en nullité des clauses précitées était antérieurement acquise, la sanction du réputé non écrit est applicable aux baux en cours.
Ainsi, la Cour de cassation a pu tirer la conclusion suivante : « ayant constaté que le bail s’était tacitement prorogé et que le congé avait été valablement délivré par les propriétaires le 23 septembre 2014, soit postérieurement à l’entré en vigueur de cette loi, la cour d’appel en a exactement déduit que l’action tendant à voir réputer non écrite la clause de renonciation à l’indemnité d’éviction n’était pas soumise à la prescription biennale et était recevable ».
Le locataire pouvait donc se prévaloir de cette sanction à l’encontre des bailleurs.
C’est l’apport essentiel de cet arrêt : la clause privant d’effet le droit au renouvellement du preneur, et le privant de son droit à percevoir une indemnité d’éviction est réputée non écrite et cette sanction est imprescriptible.
Un bailleur ne peut donc pas priver son preneur à bail commercial de l’indemnité d’éviction à laquelle lui donne droit le statut des baux commerciaux.
On relèvera en outre que la cour de cassation a profité de cette décision pour rappeler un second grand principe : le notaire n’est pas tenu d’une obligation de conseil concernant l’opportunité économique d’un bail qu’il n’a pas rédigé, et il n’est pas non plus tenu de mettre en garde le bailleur sur le risque d’annulation d’une des clauses dudit bail, puisqu’il a été signé sans son concours et qu’il n’a pas d’incidence sur la validité de l’acte de vente notarié.
Le cabinet PIVOINE AVOCATS vous accompagne dans l’ensemble des problématiques que vous rencontrez avec votre bail commercial.
Historique
-
INSAISISSABILITÉ LÉGALE VS NON REPRISE DES POURSUITES INDIVIDUELLES À LA CLÔTURE D’UNE PROCÉDURE DE LIQUIDATION JUDICIAIRE
Publié le : 15/01/2024 15 janvier janv. 01 2024Corporate, droit de sociétés, financementÀ l’occasion d’un arrêt rendu le 13 décembre 20231, la Cour de cassation a rappelé, que le créancier auquel l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale est inopposable peut, même après clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif, exercer son droit de po...
- banniere_article_pivoine-6597c594164b7-65a505c440c0b.jpg
- pivoine-avocats-actu-droit-societe-liquidation-65a505c441494.webp
-
Vices cachés : le régime strict de responsabilité applicable aux vendeurs professionnels et assimilés
Publié le : 26/12/2023 26 décembre déc. 12 2023Responsabilité contractuelle - Conflits commerciauxCour de cassation, 3ème Chambre civile, 19 octobre 2023, n°22-15536, Publié au bulletin L’article 1643 du Code civil prévoit que le vendeur est tenu des vices cachés, quand bien même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n’ait stipulé qu’il ne sera obligé à aucune gar...
-
Bail commercial : point sur la clause de renonciation à l’indemnité d’éviction
Publié le : 26/12/2023 26 décembre déc. 12 2023Baux commerciauxCour de cassation, 3ème Chambre civile, 16 novembre 2023, n°22-14091 Au terme d’un acte notarié du 31 octobre 2003, M. et Mme E ont acquis une villa dans une résidence de tourisme exploitée par la société Gestion patrimoine loisirs. Parallèlement à cette acquisition, les nouveaux prop...
-
PROLONGATION DU DISPOSITIF DE LA PROCEDURE DE TRAITEMENT DE SORTIE DE CRISE.
Publié le : 19/12/2023 19 décembre déc. 12 2023Droit économique, de la distribution et de la concurrenceEn 2021[1], le législateur a introduit une procédure dite « de traitement de sortie de crise » destinée à faciliter le rebond des petites entreprises. Cette procédure, dont la période d’observation est de 3 mois maximum, est qualifiée de redressement judiciaire simplifié. À ce titre,...
-
Sociétés : cession de titres et compte courant d’associé
Publié le : 05/12/2023 05 décembre déc. 12 2023Corporate, droit de sociétés, financementCass.1ère civ. 27-9-2023 n°22-15.146 Amorce : Le compte courant de l’associé Cédant doit-il être remboursé par la Société ou l’Acquéreur ? Le cas étudié permet de répondre à la question et souligne l’importance de la rédaction de la convention de cession de titres. Lors d’une cession de...
- banniere_article_pivoine-6597c594164b7.jpg
- cession-de-titres-et-compte-courant-d---associe-6597c59f540a1.webp
-
Durée du préavis et rupture brutale des relations commerciales
Publié le : 29/11/2023 29 novembre nov. 11 2023Responsabilité contractuelle - Conflits commerciauxEn l’absence de préavis, la rupture brutale des relations commerciales établies entraîne la responsabilité du partenaire qui en est à l’initiative, ainsi que l’obligation de réparer le préjudice causé. Mais comment la durée du préavis est-elle précisément évaluée ? Cour de cassation, Cha...