OPERATIONS DE DEFISCALISATIONS
Auteurs : nicolas rosain, cynthia chaumas-pellet, ghislaine betton
Publié le :
15/02/2021
15
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2021
Précisions sur le point de départ de la prescription en matière d’opérations de défiscalisations
Lorsqu’un investisseur prend la décision d’acquérir un bien dans le cadre d’un dispositif de défiscalisation, il n’est pas rare qu’il découvre finalement que son bien ne présente pas la rentabilité locative escomptée, que les avantages fiscaux sont moindres que ceux promis ou encore que la valeur de revente du bien est inférieure à celle espérée.Le schéma est classique : un promoteur immobilier charge une société conseillère en gestion de patrimoine de démarcher des investisseurs potentiels sur des lots d’appartements au sein d’une résidence.
Le conseiller en patrimoine présente la vente du bien comme un investissement sécurisé, permettant de percevoir des loyers et de bénéficier d’un dispositif de défiscalisation ; il assure, dans le même temps, que le bien pourra être revendu au même prix que lors de l’acquisition, voire qu’une plus-value à la revente pourra être réalisée.
Le tout est financé par un prêt, afin que le client n’ait pas à utiliser ses économies.
Les risques de l’opération sont présentés comme couverts, par une série d’assurances à souscrire, voire sont complètement omis.
Dans le même temps que ces arguments séduisants sont avancés, le client signe un contrat de réservation d’un appartement, support de l’opération de défiscalisation et est accompagné par le conseiller pour la suite des démarches (mise en relation avec un établissement de crédit, signature d’un mandat de gérance locative, proposition d’un pack d’assurance, ou encore mise en relation avec un Notaire procurateur), jusqu’à la signature de l’acte définitif de vente.
Cette façon de procéder conduit bien souvent à priver l’investisseur de toute réflexion sur l’opération réalisée, alors même qu’il aurait mené ses propres investigations dans le cas d’une acquisition immobilière classique.
Ce n’est que lorsque les incidents se multiplient, qu’il découvre avoir été trompé et s’interroge sur l’opportunité d’initier une procédure judiciaire.
Malheureusement, la découverte de ce mauvais investissement et de son caractère peu rentable peut s’avérer tardive au regard de la période relativement longue des dispositifs de défiscalisation, conduisant ainsi à un risque de prescription des actions judiciaires de l’investisseur malchanceux.
Il importe donc de faire un point sur les différentes règles et jurisprudences en vigueur s’agissant du point de départ de la prescription des actions en justice engagées dans le cadre d’opérations de défiscalisation.
A titre liminaire, il faut rappeler quelles sont les différentes actions en justice possibles :
- Une action en nullité pour dol : l’objectif est d’obtenir l’annulation de la vente en démontrant que le promoteur a usé de plusieurs manœuvres trompeuses afin de pousser l’investisseur à conclure la vente ;
- Une action en responsabilité : aux fins d’obtenir des dommages-intérêts des différents intervenants à la vente pour manquement à leur obligation d’information et de conseil.
- Aux termes de l’article 2224 du Code civil, les actions en nullité et responsabilité sont possibles dans les 5 ans « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
- - Aux termes de l’article 1144 du Code civil – ancien article 1304 – le délai de prescription de l’action en nullité fondée sur le dol ne commence à courir qu’à partir du moment où le dol a été découvert.
- La jurisprudence affirme également que le délai de prescription de l’action en responsabilité commence à courir à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas précédemment connaissance (par exemple : Cass. 3ème civ., 24 mai 2006, n°04-19.716).
Dans le cadre des opérations de défiscalisations immobilières, la découverte du dol s’effectue généralement plusieurs années après l’acquisition du bien, soit du fait de vacances locatives répétées, soit lors de l’estimation du bien au moment de la revente.
Il en va de même pour la découverte du dommage, dans la mesure où les investisseurs victimes se rendent compte du préjudice qu’ils subissent au terme de la période de défiscalisation, c’est-à-dire au moment de faire le bilan des gains fiscaux promis et de revendre leur bien.
Dès lors, si les actions en justice apparaissent de prime abord prescrites – le délai de 5 ans étant généralement écoulé – il est envisageable de déplacer le point de départ de la prescription, afin de rendre recevables lesdites actions.
C’est ce qu’ont, en effet, jugé plusieurs cours d’appels ces dernières années.
Dans un arrêt du 12 mars 2020, la cour d’appel de Bordeaux a, par exemple, affirmé que le point de départ du délai de prescription de l’action en nullité pour dol doit être fixé « à la date à laquelle il s’est aperçu que la rentabilité locative de l’appartement acquis n’était pas celle qu’il espérait ou qu’on lui avait promise, faute de pouvoir trouver des locataires pendant une période excédant notablement la période de vacance locative ordinaire » (CA Bordeaux, 12 mars 2020, n°17/03944).
Dans un arrêt du 6 juillet 2017, la cour d’appel de Montpellier a également considéré que le dol à l’origine de l’erreur sur la valeur de l’immeuble n’est apparu à l’investisseur que quand il a tenté de mettre en vente son bien et qu’il s’est aperçu que sa valeur réelle était de 50% inférieure à sa valeur d’achat (CA Montpellier, 6 juillet 2017, n°13/06962).
Les juridictions commencent progressivement à reconnaître que, dans ce type d’opérations financières – qui sont par ailleurs nécessairement distinctes des opérations d’acquisitions immobilières classiques – l’acquéreur ne vérifie pas nécessairement le prix du bien, du fait du climat de confiance instauré par le promoteur et le conseiller en patrimoine.
La Cour de cassation a récemment condamné un promoteur sur ce terrain en relevant que, en joignant une plaquette commerciale destinée à « ôter de l’esprit de ses potentiels acquéreurs tout doute sur les aléas liés aux possibilités de location », ainsi qu’en produisant « un écrit portant le nom d’une agence de gestion immobilière qui accréditait l’idée d’une sécurisation du projet et d’une rentabilité certaine », la société promotrice de l’opération immobilière avait détourné l’attention des acquéreurs potentiels de la subsistance d’aléas et de risques liés à l’opération immobilière et avait donc commis une faute pour manquement à son obligation d’information sincère et de conseil (Cass. 1ère civ., 23 janvier 2018, n°17-31.445).
La jurisprudence amorce donc une nouvelle approche des manœuvres entreprises par les promoteurs dans le cadre des opérations de défiscalisation, basée sur le climat de confiance instauré et sur le détournement d’informations destinés à tromper l’acquéreur.
S’agissant du point de départ de la prescription en matière d’action en responsabilité, la jurisprudence se montre plus précise et en fait une appréciation nuancée.
En effet, la cour d’appel de Toulouse a, par exemple, jugé que les investisseurs pouvaient avoir connaissance des faits dommageables, soit à partir du moment où ils ont accepté une baisse du loyer du fait d’une vacance locative prolongée, soit au moment de l’expertise de la valeur de leurs biens. Par conséquent, l’action en responsabilité diligentée contre le promoteur et le conseiller en gestion de patrimoine a été recevable (CA Toulouse, 27 janvier 2020, n°17/02265).
De même, la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion a considéré que l’action en responsabilité contre le notaire de l’opération était recevable 8 ans après la vente dans la mesure où, s’agissant du caractère excessif du prix de vente, les investisseurs ne pouvaient en avoir connaissance au jour de la vente (CA Saint-Denis de la Réunion, 28 juin 2019, n°17/01640).
Enfin, il est également possible pour l’investisseur d’engager la responsabilité de la banque lui ayant octroyée le crédit.
Par principe, la jurisprudence considère que l’action en responsabilité de l’emprunteur, pour manquement d’un établissement bancaire à son devoir de mise en garde, commençait à se prescrire dès l’octroi du crédit, à moins que l’emprunteur ne démontre qu’il pouvait, à cette date, légitimement ignorer ce dommage (Cass. com., 17 mai 2017, n° 15-20.260).
En pratique, il est possible pour les investisseurs de démontrer qu’ils ignoraient le potentiel dommage dans la mesure où le préjudice subi sur la valeur du bien n’est légitimement connu que lors de la revente du bien.
De même, la Cour de cassation a récemment opéré un revirement de jurisprudence en énonçant que l’action en responsabilité de la banque ne se prescrit, s’agissant d’un prêt in fine garanti par un contrat d’assurance vie, qu’à compter du terme du prêt (Cass. com., 6 mars 2019, n°17-22.668).
Cette nouvelle jurisprudence pourra engendrer des conséquences dans le cadre des actions des investisseurs en matière d’opérations de défiscalisation. Les investisseurs pourraient désormais s’appuyer sur cette nouvelle jurisprudence pour arguer que ce n’est qu’à la fin de l’emprunt, ou à tout le moins qu’à la fin de la période de défiscalisation, qu’ils se sont aperçus que les revenus locatifs n’étaient pas suffisants pour faire face au remboursement du prêt.
Par ailleurs, il convient de relever que les cours d’appels estiment généralement que, si l’action en nullité pour dol n’est pas déclarée prescrite, celle intentée en dommages-intérêts ne peut l’être de manière autonome dans la mesure où elle trouve sa cause « dans des manquements rattachables à la formation du contrat ». La demande en dommages-intérêts ne peut donc se prescrire « autrement que l’action principale en nullité de la convention » (CA Bourges, 6 septembre 2018, n°17/00168).
Ainsi, il ressort des énonciations précédentes que le droit peut permettre d’échapper à la prescription en matière d’opérations de défiscalisations et ne souhaite pas forcément sanctionner l’ignorance des investisseurs.
Les investisseurs doivent toutefois avoir à l’esprit que le point de départ de la prescription, en matière de dol et de responsabilité, reste soumis à l’appréciation des juges du fond et que chaque situation est différente.
Il est dès lors recommandé d’agir le plus rapidement possible et de toujours se renseigner de manière précautionneuse sur les investissements entrepris afin d’éviter toute mauvaise surprise.
Le Cabinet PIVOINE est à vos côtés pour vous aider à évaluer votre situation et vous accompagner dans vos actions judiciaires.
Historique
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