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                            Publié le : 
                            30/10/2025
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                                                Cass. 1re Civ., 15 octobre 2025, n° 24-15.281, Publié au bulletin L’expertise non-judiciaire, c’est-à-dire une évaluation ou un avis technique réalisé à l’initiative d’une ou plusieurs parties sans intervention du juge, peut constituer un outil précieux pour éclairer le litige mais ne revêt pas la même force probante qu’une expertise judiciaire.
En effet, s’il est de jurisprudence constante qu’en vertu de l’article 16 du Code de procédure civile, le juge ne peut pas refuser d’examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut pas non plus se fonder exclusivement sur une expertise non-judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties (Cass. ch. mixte, 28 septembre 2012, n° 11-18.710 : JurisData n° 2012-022400).
Cette règle s’applique également lorsque l’expertise non-judiciaire a été effectuée en présence de toutes les parties (Cass. 2e Civ., 9 juin 2022, n° 21-12.247) ou lorsque les parties ont été régulièrement convoquées aux opérations d’expertise (Cass. 1re Civ., 26 juin 2019, n° 18-12.226).
L’arrêt rendu par la première Chambre de la Cour de cassation le 15 octobre 2025 s’inscrit dans cette continuité jurisprudentielle en offrant un éclairage plus nuancé sur la manière dont le juge peut tirer parti d’une expertise non-judiciaire : s’il rappelle la règle fondamentale selon laquelle une expertise réalisée à l’initiative d’une seule partie ne peut à elle seule fonder une décision (1), il illustre également la souplesse dont le juge peut faire preuve lorsqu’il est confronté à des faits techniques incontestés (2).
La rigueur de principe : l’interdiction de fonder une décision exclusivement sur une expertise unilatérale
En l’espèce, un véhicule d’occasion a été vendu le 30 avril 2019, avec un kilométrage déclaré de 141 000 km sur le certificat de cession. À la suite d’un contrôle technique effectué le 8 avril 2021, des doutes ont été soulevés quant à la véracité de ce kilométrage. L’assureur de l’acheteur fit alors réaliser une expertise amiable contradictoire avec la venderesse. Cette expertise conclut que le kilométrage avait été modifié avant la vente, le véhicule ayant déjà affiché un kilométrage supérieur lors des contrôles techniques des 25 août 2017 et 4 juin 2018.Le 24 novembre 2022, l’acheteur saisit le Tribunal de proximité d’Aulnay-sous-Bois afin d’obtenir la résolution de la vente et la restitution du prix de vente. Le Tribunal fit droit à cette demande par un jugement en date du 11 janvier 2024.
La venderesse fait grief au Tribunal d’avoir ainsi jugé alors qu’il ne pouvait fonder sa décision sur le seul rapport d’expertise amiable produit par l’acheteur, même contradictoire, sans qu’il soit corroboré par un autre élément de preuve, invoquant ainsi une violation de l’article 16 du Code de procédure civile.
La Cour ne rejette pas ces arguments, car il est en effet de jurisprudence constante que le juge ne peut fonder sa décision sur un rapport d’expertise non-judiciaire produit par une seule partie, à moins que ce rapport n’ait été régulièrement versé aux débats, soumis à la libre discussion contradictoire des parties et corroboré par d’autres éléments de preuve (Cass. 2e Civ., 9 septembre 2020, n° 19-13.755).
L’assouplissement pragmatique : la force probante du fait non contesté
Cependant, la Cour, fidèle à une approche nuancée, admet ici une exception et précise que si le juge ne peut fonder exclusivement sa décision sur un rapport d'expertise non-judiciaire, même contradictoire, établi à la demande d'une partie, il en va différemment si les constatations et conclusions expertales portent sur un fait établi et non discuté par les parties.Elle donne donc raison au Tribunal qui s’était exclusivement fondé sur le rapport d'expertise non-judiciaire en retenant que ce dernier portait sur un fait matériel non discuté : le kilométrage réel du véhicule. Les deux parties reconnaissaient que la modification du compteur était antérieure à la vente et que la venderesse avait elle-même été trompée par le vendeur initial. Dans ce contexte, le rapport d’expertise ne constituait plus une pièce unilatérale, mais un constat objectif d’une situation admise par tous.
En validant ce raisonnement, la Cour admet implicitement qu’un rapport d’expertise non-judiciaire peut devenir une preuve suffisante lorsque son contenu n’est pas contesté. Cette position, conforme à la logique de l’économie du procès civil, traduit une recherche d’équilibre entre rigueur procédurale et efficacité judiciaire.
L’arrêt s’inscrit ainsi dans une évolution plus large de la jurisprudence tendant à reconnaître, dans certaines conditions, la valeur probatoire autonome des expertises non-judiciaires. Lorsque leur contenu repose sur des constatations objectives et non contestées, elles peuvent servir de fondement exclusif à une décision de justice. Ainsi, la frontière entre expertise privée et preuve judiciaire se nuance : il apparait que ce n’est plus la nature du rapport qui importe, mais le degré de contestation du fait qu’il établit.
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