
Eclairage sur le sort d’une demande en paiement d’une créance salariale avant le jugement d’ouverture d’une procédure collective
Auteurs : Laudine Malatray, Guillaume Sauray, Marion Fau et Ghislaine Betton
Publié le :
21/01/2022
21
janvier
janv.
01
2022
L’article 369 du Code de procédure civile prévoit, par principe, l’interruption des instances en cours par l’effet du jugement d’ouverture d’une procédure collective. Un tel principe est également rappelé par le législateur à l’alinéa 1er de l’article L.622-21 du Code de commerce.
Si l’instance peut être reprise après que le créancier ait déclaré sa créance au passif et mis en cause les organes de la procédure, les instances prud’homales bénéficient d’un régime dérogatoire.
En effet, il résulte de l’article L.625-3 du Code de commerce que ces instances, en cours au jour du jugement d’ouverture, ne sont pas interrompues mais sont « simplement » poursuivies après la mise en cause des organes de la procédure.
Cette exception permet d’assurer non seulement la poursuite de l’instance mais également l’efficience de cette dernière, étant précisé que les demandes formulées ne peuvent tendre que – par principe – à la fixation de la créance au passif de la procédure collective. Il reste qu’il existe bon nombre d’écueils à éviter de ce chef et du fait de la complexité des dispositions du Livre VI du Code de commerce.
Dans un arrêt rendu par la Chambre sociale le 10 novembre 2021, la Cour de cassation a apporté un éclairage considérable sur le sort d’une demande en paiement formulée par un salarié, à l’encontre de son employeur placé en liquidation judiciaire, en cours d’instance.
En l’espèce, un salarié d’une société a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Ensuite de la saisine de la juridiction prud’homale, un jugement a été rendu le 1er septembre 2017, prononçant la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur, condamné à verser au salarié diverses sommes au titre de la rupture.
L’employeur a interjeté appel de cette décision le 6 octobre 2017.
Suivant jugement du 9 novembre 2017, une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l’encontre de la société.
Pour débouter le salarié des demandes de condamnation formulées, la Cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE a estimé que « du fait du prononcé de la liquidation judiciaire de la société, le salarié ne pouvait que réclamer la fixation de sa créance à son passif, à l’exclusion de toute condamnation visant cette personne morale. ».
En somme et dans la mesure où le salarié sollicitait toujours la condamnation de son ancien employeur à lui verser une somme d’argent, les juges du fond ont estimé irrecevables les demandes en paiement de la créance du salarié à l’encontre de la personne morale, excluant l’inscription des sommes au passif de la procédure collective.
Les seconds juges ont, ainsi, en toute rigueur juridique, fondé leur décision sur le principe - issu des dispositions de l’article L.622-21 du Code de commerce - d’interruption ou d’interdiction de toute action en justice de la part des créanciers tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent. Les conseillers n’ont pas « modéré » leurs raisonnements eu égard à la qualité de salarié du demandeur initial à l’instance.
Le salarié a formé un pourvoi en cassation.
Dès lors, il appartenait à la Haute juridiction de se prononcer sur la fixation d’office par le juge, de la créance salariale alléguée au passif, bien que les demandes formulées par le salarié en cause d’appel, postérieurement au jugement d’ouverture de la procédure collective, ne tendaient qu’à la condamnation de son ancien employeur, en liquidation judiciaire, au paiement d’une somme d’argent.
La position adoptée par la Cour de cassation, aux termes de l’arrêt rendu par la Chambre sociale le 10 novembre 2021, repose, non seulement, sur le caractère antérieur ou postérieur de la créance mais également, sur la date de saisine initiale du Conseil de prud’hommes en comparaison au jugement d’ouverture d’une procédure collective.
En effet :
- S’agissant du fait générateur de la créance alléguée par le salarié à l’encontre de son ancien employeur, en exécution d’un contrat de travail rompu antérieurement à l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, la Haute Juridiction a classiquement estimé qu’il s’agissait d’une créance antérieure, sans que ce point ne puisse faire débat. Ce, quand bien même la condamnation prononcée fût-elle postérieure à l’ouverture de la procédure collective.
- S’agissant, en outre, de la distinction entre les instances prud’homales en cours à la date du jugement d’ouverture d’une procédure collective et celles initiées postérieurement, la Chambre sociale de la Cour de cassation a estimé que la demande en paiement d’une créance salariale formulée avant le jugement d’ouverture était recevable, malgré la procédure collective et même si elle ne tendait pas à la fixation de la créance au passif.
En définitive, il revient – en quelque sorte et de manière très schématique – aux juges du fond de palier la carence des parties, dans un tel cas.
A la lumière de cette décision, il est patent que la Haute Juridiction a pour volonté de protéger, de manière toute particulière, les salariés dans le cadre d’une procédure collective.
Et ce d’autant qu’en l’état, les sommes dues au salarié seront, ipso facto, prises en charge par l’Assurance de Garantie des Salaires, partie à la procédure : tel n’aurait pas été le cas si le pourvoi avait été rejeté et la décision rendue par la Cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE.
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