
Contestation de la compétence d’un Tribunal de commerce spécialisé : Exception d’incompétence et non fin de non-recevoir
Auteurs : Muriel Bourlioux, Marion Fau, Guillaume Sauray et Ghislaine Betton
Publié le :
12/01/2022
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2022
La loi n°2015-990 du 6 août 2015 a attribué une compétence particulière à certains tribunaux de commerce, dits « Tribunaux de commerce spécialisés ». Consacrés à l’article L.721-8 du Code de commerce, ceux-ci connaissent des procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaire lorsque le débiteur répond à certains critères relatifs au nombre de salariés ou au montant net du chiffre d’affaires.
Au terme d’un arrêt du 17 novembre 2021, la Cour de cassation a répondu à la question de savoir si la contestation de la saisine d’un Tribunal de commerce non spécialisé, alors que l’entreprise répond aux critères d’élection des juridictions spécialisées, devait se faire par le biais d’une exception d’incompétence ou d’une fin de non-recevoir pour défaut de pouvoir juridictionnel.
A titre liminaire, il convient de rappeler brièvement ces deux notions :
- Fin de non-recevoir : c’est le fait de contester le droit d’agir en justice du demandeur, sans étude du fond (par ex : défaut d’intérêt, défaut de qualité, prescription etc.). Il peut notamment être allégué que le juge saisi n’a pas le pouvoir de juger la contestation qui lui est soumise. Une fin de non-recevoir peut être soulevée en tout état de cause, c’est-à-dire à tout moment au cours de la procédure.
- Exception de procédure : ce sont les moyens tendant à déclarer la procédure irrégulière ou éteinte ou à en suspendre le cours. Plus précisément, parmi les exceptions de procédure, figure l’exception d’incompétence, qui consiste à dire que la juridiction saisie est incompétente territorialement ou matériellement. Les exceptions de procédure doivent être soulevées dès le début de la procédure, avant toute défense au fond.
Tribunal en cause n’a pas été demandé au profit d’un Tribunal de commerce spécialisé.
Le Ministère public a fait appel de ce jugement, arguant notamment du fait que la procédure relèverait de la compétence du Tribunal de commerce spécialisé de LYON. Il a demandé par conséquent à la Cour de relever d’office la fin de non-recevoir tirée du défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce de SAINT-ETIENNE.
Dans un arrêt du 14 novembre 2019, la Cour d’appel de LYON a accueilli favorablement cette demande de défaut de pouvoir juridictionnel, laquelle constitue une fin de non-recevoir, pouvant dès lors être invoquée en tout état de cause, y compris pour la première fois au stade de l’appel.
Les mandataires et administrateurs judiciaires désignés dans ce dossier ont formé un pourvoi en cassation.
Ils soutiennent que la contestation de compétence soulevée par le Ministère public devait s’analyser en une exception d’incompétence, devant être soulevée avant toute défense au fond, à peine d’irrecevabilité. De ce fait, l’exception de compétence selon laquelle seul le Tribunal de commerce spécialisé de LYON pouvait connaître de l’ouverture de la procédure, plutôt que le Tribunal de commerce de SAINT-ETIENNE, était irrecevable n’ayant pas été soulevée dès la première instance et in limine litis par le Ministère public.
Il appartenait alors à la Cour de cassation de déterminer si l’article L.721-8 du Code de commerce privait les autres tribunaux d’un pouvoir juridictionnel ou s’il établissait simplement une règle de répartition de compétence entre ces juridictions et les tribunaux de commerce spécialisés.
La Haute Cour a alors estimé que : « ce texte ne prive pas le Tribunal de commerce non spécialement désigné du pouvoir juridictionnel de connaître de ces procédures lorsque les seuils qu'il prévoit ne sont pas atteints mais détermine une règle de répartition de compétence entre les juridictions appelées à connaître des procédures, dont l'inobservation est sanctionnée par une décision d'incompétence et non par une décision d'irrecevabilité ».
Elle reproche ainsi à la Cour d’appel de LYON d’avoir analysé la contestation de la compétence du Tribunal stéphanois en une fin de non-recevoir et non en une exception d’incompétence. En conséquence, elle casse l’arrêt d’appel et requalifie la contestation de compétence du Ministère public en exception d’incompétence, ne pouvant pas être soulevée d’office pour la première fois en appel.
En conclusion, l’article L.721-8 du Code de commerce établit une simple répartition de compétence entre les tribunaux de commerce spécialisés et les tribunaux de commerce non-spécialisés. Il ne prive en aucun cas les autres tribunaux de connaître des procédures collectives lorsque les seuils prévus ne sont pas atteints.
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