
Pouvoirs du juge des référés
Publié le :
21/04/2021
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2021
Il ne peut pas annuler les délibérations prises en Assemblée générale, mais en suspendre les effets
Cass. com., 13 janv. 2021, n° 18-25.713 et 18-25.730
Par principe, les pouvoirs du juge des référés sont circonscrits au prononcé de mesures provisoires permettant de répondre à l’urgence engendrée par les circonstances d’espèce. Ainsi, le juge des référés ne se prononce qu’en l’attente du dénouement de la situation (Cass. 2e civ., 29 janv. 2015, n° 14-10.544), sans trancher le fond du litige (Cass. 1re civ., 13 mars 2008, n° 06-16.167).
Néanmoins, les pouvoirs de ce juge, entendus largement au regard de la notion de mesures provisoires, sont sujets à interprétation, comme le démontre l’arrêt commenté.
En l’espèce, trois associés d’une SAS ont adressé au gérant de la société dirigeant cette SAS, une convocation à une assemblée générale (AG), afin qu’il soit mis un terme à son mandat de président et qu’il soit procédé à son remplacement.
La SAS et la société dirigeante ont parallèlement sollicité la désignation d’un administrateur provisoire, chargé de diriger pendant trois mois les sociétés du groupe, et de conduire des négociations avec les banques afin de restructurer les dettes.
Après qu’une ordonnance a fait droit à cette demande, la société présidente a assigné en référé les trois associés ayant convoqué l’AG, afin d’obtenir le report de celle-ci à la fin de la mission de l’administrateur provisoire.
La Cour d’appel a accueilli cette demande, par un arrêt rendu le 20 septembre 2018, après avoir relevé que le maintien de l’assemblée générale et la désignation du nouveau président seraient contraires à la mission de l’administrateur provisoire.
Parallèlement, les associés ont convoqué une AG avec pour ordre du jour initial la fixation de la rémunération de la présidente, avant de le modifier, au cours de l’assemblée, et de mettre au vote deux projets de résolution, l’une portant sur la révocation des fonctions de présidente de la société, l’autre sur la nomination d’un nouveau président, toutes deux avec effet immédiat.
La société dirigeante s’étant abstenue, la modification de l’ordre du jour a été approuvée, et les deux résolutions adoptées à la majorité des voix.
La Cour d’appel a prononcé, par un arrêt rendu le 16 octobre 2018, la nullité de ces résolutions.
Les trois associés ont alors formé deux pourvois en cassation, contre les deux arrêts d’appel, rendus respectivement le 20 septembre et le 16 octobre 2018.
La Cour de cassation, par l’arrêt commenté, a rejeté le pourvoi formé contre le premier arrêt d’appel mais a censuré, l’arrêt rendu le 16 octobre 2018.
Pour approuver la solution retenue par l’arrêt d’appel du 20 septembre 2018, la Haute juridiction retient que les juges ont constaté que l’administrateur provisoire avait eu pour mission de reprendre les négociations avec les banques pour restructurer sa dette, de sorte que la confiance accordée par les banques à ce dernier pour la négociation était susceptible d’être affectée par la délibération sollicitée par les associés, alors que l’urgence de cette dernière n’était pas avérée.
En effet, le maintien de l’ancien président dans ses fonctions ne perturbait pas la mission de l’administrateur provisoire et ce dernier ne s’était pas rendu coupable de fautes rendant son maintien préjudiciable à la société, de sorte que la mission de l’administrateur provisoire aurait été rendue impossible. Ainsi, un changement de direction en urgence n’était nullement justifié.
Ainsi, la Cour de cassation retient que la seule tenue de cette assemblée pendant l’accomplissement, par l’administrateur provisoire, de sa mission, était de nature à causer à la société un dommage imminent qu’il fallait prévenir en ordonnant son report.
S’agissant de la seconde procédure, dans laquelle le président évincé avait sollicité l’annulation en référé des délibérations l’ayant révoqué et ayant nommé un nouveau président, la cour d’appel avait accueilli cette demande, aux motifs que la décision de mettre à l’ordre du jour ces projets de résolution constituait d’un trouble manifestement illicite car était délibérément contraire à l’ordonnance de nomination de l’administrateur provisoire.
La Cour d’appel en avait déduit que l’annulation des délibérations frauduleuses était le seul moyen de mettre un terme à ce trouble.
Pour casser cette décision, la Cour de cassation retient que l’annulation des délibérations de l’assemblée générale d’une société n’est ni une mesure conservatoire, ni une mesure de remise en état, de sorte qu’une telle décision n’entre pas dans les pouvoirs du juge des référés.
Néanmoins, la Cour de cassation précise que le juge des référés, faute de pouvoir annuler ces délibérations, aurait toutefois pu en suspendre les effets.
Si le pouvoir du juge des référés de reporter une assemblée était déjà admis depuis longtemps, sous réserve qu’il soit justifié (Cass. com., 19 mai 1987, n° 84-17.401), notamment par une information insuffisante des associés (CA Paris, 1re ch. sect. A, 4 févr. 1988, n° 88/1970), ou en l’attente du résultat d’une procédure en cours (CA Paris, 1re ch., sect. A, 14 nov. 1989, n° 89/20718), celui de suspendre les effets d’une délibération adoptée est inédit.
Cette solution semble pertinente en ce qu’une telle suspension constitue bien une mesure conservatoire relevant des prérogatives du juge des référés, conformément aux dispositions du Code de procédure civile.
Ainsi, le juge des référés aurait pu, sans préjudicier à la décision des associés d’évincer le président afin d’en désigner un autre, repousser dans le temps les effets de ces deux décisions, en les retardant à l’issue de la mission de l’administrateur provisoire.
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