
Rappel de la sanction d’un acte passé par un débiteur en liquidation judiciaire en violation de la règle de dessaisissement
Publié le :
20/02/2025
20
février
févr.
02
2025
Cass. Com. 15 janvier 2025, n° 23-18.695
Le jugement de liquidation judiciaire emporte de plein droit dessaisissement du débiteur. Cette règle est impérative et d'ordre public. En effet, en vertu de l’article L. 641-9 du Code de commerce, dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire, le débiteur se voit dessaisi de l’administration et de la disposition de l’ensemble des biens qui composent son patrimoine professionnel.
En d’autres termes, les biens engagés par l’activité professionnelle du débiteur, qu’il s’agisse de biens personnels ou d’entreprises, sont placés sous le contrôle du liquidateur judiciaire, jusqu’à la clôture de la procédure. Ce dessaisissement s’étend également à tous les biens acquis par le débiteur à quelque titre que ce soit pendant cette période, qu’il s’agisse de biens meubles, immeubles, ou autres droits patrimoniaux.
Ainsi, pendant toute la durée de la liquidation, l'exercice des droits et actions relatifs à ces biens appartient exclusivement au liquidateur, qui en assure la gestion et la réalisation au profit des créanciers.
Toutefois, il convient de noter que ce dessaisissement, bien qu’étendant son effet sur les biens patrimoniaux du débiteur, ne modifie en rien sa capacité juridique. En effet, le débiteur demeure libre de réaliser des actes juridiques qui ne touchent pas à son patrimoine liquidé, comme le souligne la jurisprudence. La Cour de cassation a ainsi précisé que le dessaisissement, limité aux seuls droits patrimoniaux, ne porte pas atteinte à la capacité du débiteur au sens de l’article 370 du Code de procédure civile, ce qui signifie que ce dernier conserve sa pleine capacité à accomplir des actes juridiques non patrimoniaux. (Cass. com., 18 oct. 1967 : Bull. III, n° 332 ; Cass. com., 26 févr. 2020, n° 18-18.283)
Ces décisions illustrent le rôle central de la jurisprudence dans la délimitation du périmètre du dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire, une question centrale qui a régulièrement fait l'objet d'interprétations par la Cour de cassation.
L'arrêt rendu par sa Chambre commerciale le 15 janvier 2025 en constitue une nouvelle illustration significative.
I- Faits et procédure de l’arrêt
En l’espèce, une société, mise en redressement puis en liquidation judiciaire, était titulaire d’un compte ouvert dans les livres d’un établissement de monnaie électronique au sens de l’article L. 526-1 du Code monétaire et financier. Le liquidateur a informé cet établissement de l’ouverture de la liquidation judiciaire. Il a ensuite demandé la clôture du compte et, surtout, le versement de son solde créditeur.Le liquidateur, ayant constaté que le compte avait continué à fonctionner malgré le dessaisissement du débiteur, que de nombreuses écritures avaient été portées au débit du compte, et que des sommes avaient au contraire été créditées, a assigné l’établissement de monnaie électronique aux fins de voir déclarer inopposables à la procédure collective ces opérations en débit et obtenir la condamnation de ce dernier à lui payer les sommes correspondantes.
La cour d’appel de Toulouse, par un arrêt en date du 10 mai 2023 (n°21/03965), a retenu que l’action du liquidateur était recevable car elle tendait à la reconstitution du patrimoine du débiteur, que sa recevabilité n’était pas conditionnée à la démonstration préalable de l'existence d'une insuffisance d'actif, ni limitée au montant de cette dernière et que le liquidateur avait qualité et intérêt à agir pour solliciter l'inopposabilité à la procédure collective de l'ensemble des opérations réalisées en violation du dessaisissement du débiteur.
Face à cette décision, l’établissement de monnaie électronique s’est pourvu en cassation, soutenant que la sanction de la violation par le débiteur de son dessaisissement est l’inopposabilité à la procédure des actes qu’il a accomplis, et ce, afin de protéger l’intérêt collectif des créanciers. De ce fait, le liquidateur était irrecevable, faute de qualité et d’intérêt à agir au-delà du passif établi par l’état des créances et sous réserve du montant de l’actif reconstitué.
II- La position de la Cour
La Cour rejette le pourvoi et indique qu’il résulte de l’article L. 641-9 du Code de commerce que les actes de disposition accomplis par le débiteur au mépris de la règle du dessaisissement, édictée par ce texte pour préserver le gage des créanciers au cours de la procédure, sont frappés d’une inopposabilité à la procédure collective dont le liquidateur peut se prévaloir, et ce, quel que soit le montant du passif déclaré et de l’actif.Cette décision s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence antérieure de la Cour, qui, de façon constante, juge que les actes juridiques accomplis au mépris de la règle du dessaisissement sont inopposables à la procédure collective. (Com. 23 mai 1995, n° 93-16.930)
Plus précisément, il est jugé que de tels actes sont inopposables au liquidateur judiciaire (Civ. 3e, 2 mars 2022, n° 20-16.787) En effet, les actes passés par le débiteur seul ne sont pas nuls en eux-mêmes puisqu’ils demeurent valables entre lui et son cocontractant.
A noter que cet arrêt vient certes rappeler la sanction d’un acte passé par un débiteur en violation de son dessaisissement mais ne prive néanmoins pas de la possibilité de ratification de ces actes par le liquidateur, dans l’intérêt des créanciers qu’il représente.
En l’absence de ratification, si l’acte est frappé d’inopposabilité, la créance qui en découle, née irrégulièrement, ne pourra ni bénéficier d’un traitement préférentiel ni être admise au passif. Elle sera alors considérée comme une créance « hors procédure ».
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