
Extension d’une procédure collective pour confusion des patrimoines : appréciation de la date de réalisation des faits constitutifs en cas de succession de procédures
Auteurs : Marion Fau, Guillaume Sauray et Ghislaine Betton
Publié le :
07/03/2022
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2022
Si l’autonomie de la personne morale est un principe (articles 1832 et suivants du Code civil), la réalité économique peut amener les organes de la procédure collective (voire le débiteur lui-même) à porter atteinte audit principe et à étendre une procédure déjà ouverte, à l’encontre d’une autre personne distincte, lorsque la situation juridique travestit la réalité.
Initialement forgée par la jurisprudence, l’extension de procédure a été consacrée par la loi du 26 juillet 2005 au sein de l’article L.621-2 alinéa 2 : « A la demande de l'Administrateur, du Mandataire judiciaire, du débiteur ou du Ministère public, la procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale ».
Ressortent ainsi de cet article, deux cas alternatifs d’extension :
- La présence d’une personne morale fictive : la caractérisation de la fictivité de la personne morale peut survenir lorsque cette dernière n’est qu’un leurre. Il sera souvent question de l’absence de l’une des conditions essentielles de la personne morale, l’affectio societatis.
- La confusion des patrimoines : la qualification de la confusion des patrimoines repose sur 2 critères alternatifs : la confusion des comptes ou les flux financiers anormaux.
C’est sur ce second point qu’elle a eu à se prononcer récemment.
Dans un arrêt du 8 décembre 2021, elle apporte un éclairage important quant à l’appréciation de la date de réalisation des faits constitutifs d’une extension de procédure, dans le cadre d’une liquidation judiciaire, ouverte après la résolution d’un plan de continuation.
En l’espèce, par un jugement du 15 octobre 2004, une procédure de redressement judiciaire d’une société a été ouverte, puis étendue, en raison de la confusion de leurs patrimoines, à une société civile immobilière ainsi qu’à 2 débiteurs personnes physiques. Un plan de continuation commun a été arrêté le 5 août 2005. Ce dernier a été résolu par un jugement du 17 décembre 2010, prononçant la liquidation judiciaire de chacun des débiteurs.
Ayant observé des faits caractéristiques d’une confusion des patrimoines postérieurement au jugement arrêtant le plan, le liquidateur a assigné les débiteurs en jonction des procédures de liquidation judiciaire.
Le jugement du 16 décembre 2011 a prononcé la jonction et l’extension de la procédure à l’ensemble des défendeurs.
Un appel a été interjeté, suivi d’un pourvoi en cassation, cassant la décision d’appel, par un arrêt rendu le 26 janvier 2016. La Cour a alors renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de MONTPELLIER.
Cette dernière a confirmé, dans un arrêt du 7 mai 2019, le jugement du 16 décembre 2011, prononçant l’extension de la procédure. Elle a fondé la procédure d’extension non seulement sur la perception « de sommes inférieures de plus de la moitié au montant dû contractuellement par la [société] » mais également sur le fait que la « SCI avait consenti à des abandons de créances pour des montants élevés », conduisant alors à masquer, en 2009, la situation réelle de l’entreprise. Elle a souverainement estimé que ces faits étaient constitutifs d’une confusion des patrimoines.
Les débiteurs se pourvoient alors en cassation.
Aux moyens de leur pourvoi, ils arguaient que la constatation d’une confusion des patrimoines après la résolution du plan de redressement ne pouvait être fondée sur des faits survenus au cours de l’exécution du plan.
Il revenait donc à la Cour de déterminer si une jonction des procédures de liquidation judiciaire ouvertes après la résolution du plan pouvait être fondée sur une confusion des patrimoines caractérisée par des faits postérieurs au jugement arrêtant le plan, mais antérieurs à la résolution dudit plan.
Autrement dit, l’extension de procédure pour confusion des patrimoines, prononcée ensuite d’une résolution d’un plan de continuation, doit-elle nécessairement reposer sur des faits postérieurs à la résolution dudit plan ?
La Cour de cassation estime alors que : « Lorsqu'une procédure de redressement judiciaire a été étendue à d'autres débiteurs en application de l'article L.621-2, alinéa 2, du Code de commerce et qu'un même plan a été arrêté en faveur des débiteurs soumis à la procédure unique, l'extension de procédure cesse lorsque ce plan est résolu. Si la jonction des procédures de liquidation judiciaire ouvertes après la résolution du plan peut être prononcée, c'est à la condition de caractériser l'existence d'une confusion des patrimoines par des faits postérieurs au jugement arrêtant le plan » et non pas postérieurs à la résolution dudit plan, ainsi que le soutenaient les auteurs du pourvoi.
En conclusion, la Cour rappelle, dans un premier temps, que la résolution du plan de continuation permet l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire distincte pour toutes les entités ayant fait l’objet d’une extension de procédure. Dans un second temps, elle précise que les demandes en confusion des patrimoines peuvent être entreprises après résolution du plan unique tant que des faits de confusion ont existé après l’adoption du plan. Cette position permet ainsi de tirer les conclusions d’une confusion des patrimoines intervenant en cours d’exécution du plan.
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