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Recevabilité de l’action en contrefaçon d’un logiciel par La Poste : la Cour d’appel de Paris accuse réception

Recevabilité de l’action en contrefaçon d’un logiciel par La Poste : la Cour d’appel de Paris accuse réception

Publié le : 28/02/2024 28 février févr. 02 2024

Par un arrêt du 8 décembre 2013 (Cour d'appel de Paris - Pôle 5 - Chambre 2 - 8 décembre 2023 - n° 21/19696), la Cour d’appel de Paris vient de confirmer une question aux conséquences pratiques importantes pour les praticiens du contentieux portant sur les licences de logiciels ; une décision logique, sur une question désormais tranchée.

Faits de l’espèce : une apparente contrefaçon

Cette affaire concerne des produits de la société Lundi Matin, laquelle édite et propose des logiciels et applications mobiles de gestion (les fameux « ERP », pour « Entreprise ressource planning »).

Parmi ces produits figuraient les logiciels LMB et Rovercash édités par la société Lundi Matin, dont l’utilisation a été concédée à la société La Poste par l’intermédiaire de plusieurs contrats, conclus entre février 2015 et novembre 2016, et ce pour un terme contractuel fixé au 6 avril 2017.

Ces contrats avaient pour objet, nous dit l’arrêt, le développement par La Poste d'une application de caisse utilisable sur tablette et smartphone avec un site web de gestion, à savoir sa nouvelle application « Genius », que La Poste a ainsi pu proposer au téléchargement sur le Play Store de Google dès le 3 avril 2017.
Outre des problématiques liées aux crédits et règlements des prestations exécutées par la société Lundi Matin, cette dernière a reproché, quelque mois plus tard, à La Poste, la contrefaçon (alléguée) de ses droits d’auteur (allégués) sur le logiciel Rovercash.

En effet, la société Lundi Matin estimait que La Poste avait « [rendu] accessible au public son application « Genius » dans une version exécutant le logiciel Rovercash » ; utilisation par conséquent irrégulière puisque postérieure au terme des contrats précités, survenue en avril 2017.

Par jugement du 6 juillet 2021 (n° 18/01602, Sté Lundi Matin c/ Sté La Poste), le tribunal judiciaire de Paris a, notamment, donné droit à la demande de la société Lundi Matin sur le fondement de la contrefaçon.
Celle-ci a néanmoins relevé appel de cette décision, estimant insuffisant le montant de la réparation allouée. La Poste a profité de l’occasion pour, notamment, discuter la recevabilité des demandes au titre de la contrefaçon ; point principal de l’affaire, qui nous intéressera ici.

La question de la recevabilité de la demande : contrefaçon ou responsabilité contractuelle ?

En appel, la société La Poste a soulevé l’irrecevabilité de la demande en contrefaçon, estimant que le litige n’était pas « un litige de contrefaçon mais un litige commercial [entendre « contractuel »] portant sur l'étendue des droits dont disposait La Poste en vertu des contrats conclus entre les parties ».
Cette question va donner l’occasion à la Cour d’appel de Paris de préciser sa jurisprudence sur un point qu’elle connait bien puisqu’elle est à l’origine de la solution qui lui a été donnée, via question préjudicielle, par la Cour de justice de l’Union Européenne dans un arrêt du 18 décembre 2019 (CJUE, 18 déc. 2019, aff. C-666/18, IT Developement c/ Free Mobile).

En effet, la CJUE avait tranché, dans un contentieux similaire à l’affaire commentée, la question de la nature de l’action recevable en cas de violation alléguée d’un contrat de licence de logiciel.
À cette occasion, la Cour de Luxembourg avait interprété :
  • la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle ; et
  • la directive 2009/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur.
Dans sa décision, la CJUE exclut l’application de la directive 2009/24, jugeant que la directive 2004/48 « doit être interprétée en ce sens qu’elle couvre également les atteintes qui résultent du manquement à une clause contractuelle relative à l’exploitation d’un droit de propriété intellectuelle, y compris celui d’un auteur d’un programme d’ordinateur ».

Limitant ensuite la portée de sa décision, la CJUE a précisé que « la détermination du régime de responsabilité applicable en cas d’atteinte aux droits d’auteur d’un programme d’ordinateur par un licencié de ce programme relève de la compétence des États membres ».

Dans ce contexte, la CJUE s’est donc intéressée au droit français afin d’identifier le régime de responsabilité applicable.

Pour y parvenir, la CJUE devait identifier un régime satisfaisant les exigences imposées par la directive 2004/48/CE, à savoir respecter les « garanties » et « exigences » prévues par cette directive, en ce compris notamment les « mesures, procédures et réparations » listées au sein de son Chapitre II, lequel inclut notamment les outils procéduraux propres à la propriété intellectuelle (saisie-contrefaçon, droit d’information, etc.).

Or, et de toute évidence, un seul régime de responsabilité remplit ces critères : la contrefaçon (laquelle correspond à un régime spécial de responsabilité civile délictuelle). Exit donc la responsabilité contractuelle des articles 1231 et suivants du Code civil, laquelle ignore les critères requis par la directive 2004/48/CE.
Inutile de préciser que l’application de ce régime, en lieu et place du régime de responsabilité contractuelle, emporte pléthore de conséquences à prendre en compte par le praticien (tribunal judiciaire exclusivement compétent, inefficacité des clauses limitatives ou exclusives de responsabilité, réparation intégrale et non limitée du préjudice, accès aux procédures probatoires spéciales, etc).

Cohérence théorique : check

La décision IT Developement est cohérente et un parallèle peut aisément être effectué entre la logique ayant animé décision de la CJUE et le principe dit de « non cumul » entre les régimes de responsabilité délictuelle et contractuelle, lequel correspond, pour mémoire, à une « non-option » (notion distincte) puisqu’en présence d’un contrat, les parties n’ont pas le choix : la responsabilité civile contractuelle s’impose (jurisprudence constante : Cass. civ., 11 janv. 1922 ; pour un exemple récent : Cass. civ. 3ème, 28 avr. 2011, n° 10-13.646).

C’est précisément cette logique d’exclusion qui a été appliquée par la CJUE en matière de « manquement à une clause contractuelle relative à l’exploitation d’un droit de propriété intellectuelle » pour reprendre la formule des juges de Luxembourg : nonobstant l’existence d’un manquement contractuel, le régime de la contrefaçon s’impose.

Le raisonnement de la Cour est également, et sans surprise, conforme à la législation et règlementation relatives aux autres droits de propriété intellectuelle : marque, brevet, obtentions végétales, etc.

En effet, les droits de propriété intellectuelle précités soumettent, par l’intermédiaire de textes plus ou moins explicites (voir par exemple, l’article L. 714-1 du Code de la propriété intellectuelle), tout manquement aux dispositions contractuelles relatives à la concession de ces droits (par exemple, sur l’étendue, destination, lieu et/ou durée stipulé, si l’on reprend les dispositions de l’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle) au régime de la contrefaçon.  Dans ce contexte, propriété littéraire et artistique et propriété industrielle se rejoignent sur le traitement juridique des « atteintes qui résultent du manquement à une clause contractuelle relative à l’exploitation d’un droit de propriété intellectuelle » ; comme les qualifie la CJUE dans son analyse de la directive 2004/48 (cf. supra, section 2 ci-avant)

Cohérence jurisprudentielle : check

Sur la base de la décision IT Developement de la CJUE, la Cour d’appel de Paris a ainsi jugé que la société Lundi Matin était recevable à agir en contrefaçon.

Cet alignement de la jurisprudence parisienne n’allait pas de soi. La Cour avait par le passé résisté a ce positionnement des juges de Luxembourg en confirmant un jugement du tribunal de grande instance (désormais « tribunal judiciaire ») de Paris ayant prononcé l’irrecevabilité d’une action fondée sur la contrefaçon avec une analyse fondée sur le non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle (TGI Paris, 21 juin 2019, n° 11/07081).

Cette lèse-majesté était d’ailleurs caractérisée puisque l’arrêt confirmatif de la Cour d’appel visait expressément la décision de la CJUE (CA Paris, pôle 5, ch. 2, 19 mars 2021, n° 19/17493).

Cet arrêt a donc logiquement été sanctionné par la Cour de cassation qui, pour bien faire, n’a pas manqué d’évoquer (motivation enrichie oblige) elle-aussi la position de la CJUE, confirmant ainsi sa portée en droit interne (Cass. 1ère  civ., 5 oct. 2022, n° 21-15.386 : « Pour déclarer irrecevables les demandes en contrefaçon de droit d'auteur formées par la société Entr'Ouvert au titre de la violation du contrat de licence liant les parties, l'arrêt retient que la CJUE ne met pas en cause le principe du non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle et il en déduit que lorsque le fait générateur d'une atteinte à un droit de propriété intellectuelle résulte d'un manquement contractuel, seule une action en responsabilité contractuelle est recevable. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés »).

La Cour d’appel, dans l’arrêt ici analysé, s’est donc soumise à cette position imposée par la Cour suprême et la CJUE, comme le tribunal judiciaire de Paris venait de le faire avant elle ; cohérence verticale.

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