L’omission de statuer sur un chef de préjudice et ses effets procéduraux
Cass. Civ. 2, 27 novembre 2025, n° 23-18.156, Inédit.
La motivation des décisions de justice et l’exhaustivité de la réponse juridictionnelle constituent des exigences fondamentales du procès civil, garantes de la sécurité juridique et de l’effectivité des droits des parties.
L’arrêt rendu par la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation le 27 novembre 2025 s’inscrit dans cette dynamique en rappelant une précision importante sur le traitement procédural d’un chef de demande non examiné par la cour d’appel.
La Haute juridiction a ainsi été amenée à souligner la distinction fondamentale entre le défaut de motivation sanctionné par l’article 455 du Code de procédure civile et l’omission de statuer régie par l’article 463 du même code (1) ainsi que les conséquences de cette distinction sur l’ouverture du recours en cassation (2).
La qualification de l’omission de statuer face au grief tiré du défaut de motivation
En l’espèce, une personne physique a été victime d’un accident de la circulation impliquant une motocyclette conduite par un particulier et dépourvue de toute assurance obligatoire au moment des faits.
La victime a engagé une action en indemnisation de ses préjudices à l’encontre du conducteur du véhicule non assuré ainsi qu’à l’encontre du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (le FGAO).
Le jugement de première instance du 18 septembre 2019 a fait droit de manière très large aux demandes indemnitaires de la victime et a fixé le montant total de la réparation de son préjudice corporel à la somme de 579 478,22 euros en deniers ou quittances, provisions non déduites, avec intérêts au taux légal à compter du jugement.
La cour d’appel de Bourges, dans un arrêt en date du 2 mars 2023, a infirmé la décision et a procédé à une nouvelle évaluation de ce préjudice, aboutissant à une indemnisation globale de 49 930 euros, dont à déduire la provision de 15 379,37 euros d'ores et déjà versée par le FGAO, soit un solde devant lui revenir fixé à 34 550 euros. La cour a, en outre, rejeté la demande d’indemnisation du préjudice esthétique à hauteur de 2 000 euros.
La victime fait grief à l’arrêt d’appel d’avoir fixé à un tel montant l’indemnisation de son préjudice corporel et d’avoir en outre violé l’article 455 du Code de procédure civile puisqu’ayant rejeté sa demande au titre du préjudice esthétique sans en donner la moindre motivation.
Toutefois, la Haute juridiction opère une lecture rigoureuse de l’arrêt attaqué en relevant que la cour d’appel n’a, en dépit de la formule générale du dispositif qui « rejette toutes autres demandes, plus amples ou contraires », jamais statué sur le chef de demande tendant à l'indemnisation du préjudice esthétique de la victime. En l’absence de toute analyse, même implicite, dans les motifs, il ne pouvait être question d’un rejet insuffisamment motivé, mais bien d’une omission de statuer.
Cette distinction est essentielle. Le défaut de motivation suppose que le juge ait statué sur la demande, mais sans expliciter les raisons de sa décision, ce qui constitue une cause classique de cassation.
À l’inverse, l’omission de statuer se caractérise par l’absence totale de réponse juridictionnelle à une prétention régulièrement soumise au juge.
En l’espèce, la formule générale du dispositif ne saurait suppléer l’absence d’examen effectif du préjudice esthétique dans les motifs, la Cour de cassation rappelant ainsi que le dispositif doit être éclairé par les motifs qui le soutiennent.
La Cour avait déjà adopté cette position, lors d’un arrêt rendu en Assemblée plénière (Cass. Ass. Plén., 2 novembre 1999, n° 97-17.107).
L’exclusion du contrôle de cassation et le renvoi à la voie procédurale de l’article 463 du Code de procédure civile
Après avoir qualifié la situation d’omission de statuer, la Cour de cassation en tire les conséquences procédurales.
Conformément à une jurisprudence désormais bien établie (V. Cass. Com., 15 octobre 2002, n° 00-14.328 ; Cass Civ. 2, 14 novembre 2019, n° 18-19.465), elle rappelle que l’omission de statuer ne constitue pas un cas d’ouverture à cassation.
Le législateur a en effet prévu un mécanisme spécifique de réparation, en l’occurrence la procédure de rectification prévue à l’article 463 du Code de procédure civile, permettant à la juridiction qui a rendu la décision de compléter celle-ci en statuant sur le chef omis.
Ce texte permet uniquement à la juridiction de compléter son jugement lorsqu'elle a omis de statuer sur un chef des demandes dont elle était saisie, et cela sans porter atteinte à la chose jugée quant aux autres chefs, sauf à rétablir, s’il y a lieu, le véritable exposé des prétentions respectives des parties et de leurs moyens.
La juridiction ne peut aucunement statuer sur des demandes nouvelles qui auraient été présentées au cours de la procédure en omission de statuer.
Le texte rappelle en outre que la demande doit être présentée un an au plus tard après que la décision soit passée en force de chose jugée ou, en cas de pourvoi en cassation de ce chef, à compter de l'arrêt d'irrecevabilité. La jurisprudence a souvent l’occasion de le rappeler (V. Cass. Civ. 2, 8 décembre 2022, 20-22.468, Publié au bulletin).
La juridiction est saisie par simple requête de l'une des parties, ou par requête commune et doit statuer après avoir entendu les parties ou celles-ci appelées.
En définitive, cet arrêt constitue une illustration pédagogique de la frontière entre défaut de motivation et omission de statuer. Cette distinction est décisive puisque saisir la Cour de cassation d’un moyen tiré d’une omission de statuer revient à s’exposer à une irrecevabilité du pourvoi.
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Historique
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