
L’aval d’un billet à ordre est-il soumis à l’obligation précontractuelle d’information incombant à l’établissement bancaire ?
Auteur : Ghislaine Betton
Publié le :
04/05/2023
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Par un arrêt du 5 avril 20231 publié au Bulletin, la Cour de cassation vient apporter quelques précisions utiles sur le régime applicable à l’aval d’un billet à ordre et la question de l’existence d’un devoir d’information de la banque envers l’avaliste.
Rappelons préalablement les contours de ce régime trop souvent méconnu de dirigeants pourtant susceptibles d’en subir lourdement les conséquences.
À l’instar d’un cautionnement, l’aval est un engagement donné par une personne (nommée avaliste, avaliseur ou donneur d’aval) qui garantit l’exécution de l’engagement d’un débiteur.
La différence importante avec l’engagement de caution réside dans le fait que l’aval vise à garantir le paiement d’une lettre de change, d’un chèque ou d’un billet à ordre et non d’un prêt.
Il s’agit donc d’une garantie intervenant spécifiquement en matière cambiaire.
L’aval peut ainsi être donné au profit de toute personne obligée par les liens du change et garantir l’engagement du tiré accepteur, du tireur, d’un endosseur, ou encore d’un autre avaliseur.
Or, en raison de ses impératifs de célérité et d’efficience, le droit cambiaire est particulièrement énergique et dérogatoire au droit commun.
À ce titre, sans prétendre à l’exhaustivité, il sera en premier lieu rappelé que le formalisme probatoire édicté par l’article 1376 du Code civil, notamment applicable au cautionnement, est sans effet sur l’aval.
En effet, il résulte des articles L. 511-21 et L. 512-4 du Code de commerce qu’une simple signature de l’avaliste apposée sur le billet à ordre sous la mention « bon pour aval » suffit à offrir en gage l’intégralité de son patrimoine et de ses revenus au créancier.
En pratique, il n’est ainsi pas rare que le signataire n’ait pas pleinement pris conscience de la portée de l’engagement donné par l’apposition de signature sous cette mention sibylline.
En second lieu, il convient d’ajouter à cela un autre aspect tout aussi redoutable du régime lorsque le billet à ordre est régularisé par le dirigeant d’une société.
La Cour de cassation2 considère en effet que ce dernier, par sa signature, devient avaliste à titre personnel et non en tant que représentant de la personne morale puisque celle-ci ne peut pas être tout à la fois souscripteur et avaliste du billet à ordre.
Ainsi en pratique, en signant par deux fois le billet à ordre sans autre précision, le dirigeant se trouve personnellement garant de la dette de la société qu’il représente.
Par suite, les outils généralement employés par les praticiens pour le défendre s’avèrent totalement inefficaces en raison de la nature cambiaire de l’engagement.
L’avaliste n’est ainsi pas fondé à se prévaloir des mentions manuscrites, exigées ad validitatem par le Code de la consommation à propos du cautionnement, pas plus qu’il ne peut invoquer le devoir de mise en garde du banquier ou la disproportion de son engagement comme en matière de cautionnement.
Le dirigeant se trouve ainsi totalement démuni face aux dettes initialement contractées par sa société.
Toutefois, il semble que la réforme du droit des obligations opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 et l’insertion dans le Code civil d’un nouvel article 1112-1 instaurant une obligation précontractuelle d’information à caractère général ait donné une nouvelle occasion à la haute Cour de préciser le régime applicable à cette garantie.
En l’espèce, une banque avait consenti à une société un crédit de trésorerie matérialisé par l'établissement d'un billet à ordre sur lequel son dirigeant avait porté sa signature et donné ainsi son engagement d’aval.
Suite à la défaillance de cette société, la banque a assigné l'avaliste en paiement.
En appel3, la cour d’appel a ordonné la levée de la garantie bancaire pour le prêt de 70 000 € à titre chirographaire correspondant au billet à ordre impayé et prononcé l'annulation de l'aval.
Pour ce faire, les juges du fond ont relevé que l’article 1112-1 du Code civil prescrivant une obligation précontractuelle d’information légale d’ordre public et aucune disposition du code de commerce ne prévoyant de règles dérogatoires, cette obligation légale s’appliquait donc au billet à ordre et à l’aval.
Par suite, la cour a considéré que s’agissant d’un mécanisme de financement complexe, la banque n’a pas délivré une information efficiente au dirigeant et a privé ce dernier de la possibilité de ne pas contracter ou de contracter à des conditions substantiellement différentes.
L’aval est donc annulé pour réticence constitutive d’un dol.
Mécontente de cette décision, la banque a formé un pourvoi en cassation en faisant valoir le moyen selon lequel l’aval est gouverné exclusivement par les règles propres du droit du change à l’exclusion de celles du Code civil.
Se posait donc la question de savoir si l’aval d’un billet à ordre est soumis à l’obligation précontractuelle d’information incombant à l’établissement bancaire.
La réponse de la Cour de cassation est sans équivoque et dans la droite lignée de ses décisions antérieures défavorables à l’avaliste.
Selon la juridiction suprême en effet, il résulte des articles L. 511-21 et L. 512-4 du code de commerce que l’aval, en ce qu’il garantit le paiement d’un titre dont la régularité n’est pas discutée, constitue un engagement cambiaire gouverné par les règles propres du droit du change.
En conséquence, l’application de l’article 1112-1 du Code civil est exclue et l’avaliste n’est pas fondé à rechercher la responsabilité de la banque, bénéficiaire du billet à ordre, pour manquement à un devoir d’information.
Si la décision ne surprend pas lorsque l’on sait que même l’octroi de délais de grâce pour s’acquitter de la dette, prévus de façon générale par l’article 1343-5 est proscrit face à un engagement cambiaire, elle présente le mérite de transposer une solution analogue face à une disposition d’ordre public.
Cela vient ainsi confirmer le caractère quasi irrémédiable de ce type de garanties et la nécessité pour le dirigeant d’être particulièrement prudent lorsque sa société a recours à des opérations de nature cambiaire.
Fort de son expertise, le Cabinet PIVOINE AVOCATS vous conseille et vous accompagne. Pour plus d’information ou pour prendre rendez-vous, contactez-nous.
1 Cass. com., 5 avr. 2023, n° 21-17.319
2 Cass. com., 4 janv. 1994, n° 91-17.628
3 CA Reims, 1ere chambre sect. civile, 30 mars 2021, n° 20/00373
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