Agent commercial : application du statut d’agent commercial à un mandataire établi hors de l’UE
Auteur : Muriel Bourlioux
Publié le :
17/02/2023
17
février
févr.
02
2023
Cour de cassation, Chambre commerciale, 11 janvier 2023, n°21-18683
Par un arrêt du 11 janvier 2023, la Cour de cassation a précisé le champ d’application du statut très protecteur d’agent commercial.
La société Rémy Cointreau, qui a pour activité le commerce de vins et spiritueux, a conclu à partir de 2008, avec la société SWM, société canadienne ayant pour activité le référencement et la promotion de vins et spiritueux au Canada, des contrats intitulés « exclusive agency agreement ». La société SWM était désignée dans ces contrats comme « agent » exclusif en vue de la commercialisation et de la promotion de ses produits au Canada.
Par courrier du 1er avril 2015, la société Rémy Cointreau a informé la société SWM qu’elle mettait fin à leurs relations au 1er juin 2015.
Cette dernière a dès lors sollicité le paiement de l’intégralité des commissions dues, et, entre autres indemnités, une indemnité de rupture du contrat d’agent commercial.
La société Rémy Cointreau de son côté a refusé de payer lesdites indemnités, estimant que la société SWM n’avait pas la qualité d’agent commercial.
La société SWM a donc porté le litige devant les juridictions française qui ont ainsi été amenées à déterminer si cette dernière, bien qu’opérant en dehors du territoire de l’Union Européenne, pouvait être qualifiée d’agent commercial au sens de la loi française, et pouvait ainsi bénéficier du statut protecteur prévu par les articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce.
La Cour d’appel de Paris a estimé que le contrat liant SWM et la société Rémy Cointreau devait être qualifié de contrat d’agent commercial. La société Rémy Cointreau a contesté cette décision, alléguant que la société SWM ne pouvait pas être qualifiée d’agent commercial au motif qu’elle ne disposait pas, en pratique, du pouvoir de négocier les prix et les conditions du contrat.
La Cour de cassation a pourtant validé l’appréciation de la Cour d’appel, au terme du raisonnement suivant :
- les différents contrats conclus entre la société Rémy Cointreau et la société SWM stipulent qu’ils sont soumis au droit français ;
- en outre, l’article L. 134-1 du Code de commerce, qui définit la notion d’agent commercial, résulte de la loi du 25 juin 1991 ayant transposé en droit français la directive du Conseil du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants ;
- or, par son arrêt du 4 juin 2020, la Cour de justice de l’Union européenne a dit que cette directive doit être interprétée en ce sens qu’une personne ne doit pas nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant pour être qualifiée d’agent commercial ;
- la Cour de cassation a dès lors estimé que la cour d’appel avait exactement retenu que, pour qualifier les contrats conclus entre les sociétés Rémy Cointreau et SWM, qui avaient entendu soumettre ceux-ci à la loi française, il devait être fait application de l’article L. 134-1 du Code de commerce, interprété à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union, quand bien même l’agent commercial était établi et exerçait son activité en dehors du territoire de l’Union européenne.
En effet, avant l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union du 4 juin 2020, la Cour de cassation estimait que le statut de l’agent commercial ne s’appliquait pas lorsque le mandataire était privé de la possibilité de modifier les conditions et tarifs du mandant.
La Cour de cassation a toutefois opéré un revirement par son arrêt du 2 décembre 2020, au terme duquel elle indiquait que pouvait être qualifié d’agent commercial le mandataire qui est chargé de façon permanente de négocier et éventuellement de conclure des contrats au nom ou pour le compte de son mandant, quoi qu’il ne dispose pas du pouvoir de modifier les prix des produits ou services.
Cette solution est depuis lors régulièrement réaffirmée.
Cette solution est également d’application directe, indépendamment de la date de conclusion du contrat. Elle s’applique donc même aux contrats conclus antérieurement au revirement de jurisprudence du 2 décembre 2020, comme l’étaient les contrats conclus entre Rémy Cointreau et SWM.
Fort de son expertise, le Cabinet PIVOINE AVOCATS vous conseille et vous accompagne dans vos relations entre mandant et agent commercial. Pour plus d’information ou pour prendre rendez-vous, contactez-nous.
Historique
-
Prédominance de la libre révocation du mandat sur le régime de la rupture brutale des relations commerciales établies
Publié le : 26/10/2023 26 octobre oct. 10 2023Responsabilité contractuelle - Conflits commerciauxLe cas étudié permet de rappeler l’importance de l’article 2004 du Code civil concernant la révocation d’un mandataire et la rupture brutale de relations commerciales établies. Le 4 octobre 2023[1], la chambre commerciale de la Cour de cassation a rappelé, dans une des rares décisions rece...
- banniere_article_pivoine-650abda5080a7-6543743086f56.jpg
- predominance-de-la-libre-revocation-du-mandat-pivoine-6543743087329.webp
-
Promesse unilatérale de vente et rétractation du promettant
Publié le : 05/05/2023 05 mai mai 05 2023Responsabilité contractuelle - Conflits commerciauxDans les faits de l’arrêt commenté1, deux sociétés ont conclu un protocole d’accord ayant pour objet des cessions d’actions. Cette opération devant se réaliser en deux temps, elle était une assortie d’une promesse unilatérale de vente. La société promettante a rétracté sa promesse unilaté...
-
Les moyens de preuve admissibles en justice
Publié le : 19/04/2023 19 avril avr. 04 2023Responsabilité contractuelle - Conflits commerciauxPénal des affairesTandis que la Cour de cassation vient de rendre trois arrêts, le 8 mars 2023, sur la question du régime de recevabilité de la preuve en matière sociale, un rappel général sur les moyens de preuve admissibles en justice s’impose. D’une part, pour être admissible, la preuve est supposée resp...
-
Rupture d’une relation commerciale et maintien des conditions antérieures habituelles pendant le préavis : la Cour de cassation précise peu à peu la marge de manœuvre de l’auteur de la rupture quant aux conditions à respecter pendant le préavis.
Publié le : 29/03/2023 29 mars mars 03 2023Responsabilité contractuelle - Conflits commerciauxCour de cassation, Chambre commerciale, 7 décembre 2022, n°19-22538 La société C distribuait depuis les années 2000 des produits de la marque SAMSUNG. Les relations entre les deux sociétés se sont ensuite dégradées, et, par courrier du 20 mars 2012, la société SAMSUNG a fait part à la soci...
-
Rupture de contrat : le juge n’a pas à apprécier la gravité de la faute justifiant l’application d’une clause résolutoire de plein droit
Publié le : 20/03/2023 20 mars mars 03 2023Responsabilité contractuelle - Conflits commerciauxCour de cassation, Chambre commerciale, 28 septembre 2022, n°21-17269 La société P et la société A avaient conclu, en 2015, un contrat de distribution exclusive d’abris de piscine de la marque « Aquacomet ». Le 9 mai 2017, la société P a adressé à la société A une lettre de mise en deme...
-
Agent commercial : application du statut d’agent commercial à un mandataire établi hors de l’UE
Publié le : 17/02/2023 17 février févr. 02 2023Responsabilité contractuelle - Conflits commerciauxCour de cassation, Chambre commerciale, 11 janvier 2023, n°21-18683 Par un arrêt du 11 janvier 2023, la Cour de cassation a précisé le champ d’application du statut très protecteur d’agent commercial. La société Rémy Cointreau, qui a pour activité le commerce de vins et spiritueux, a c...