
La créance non déclarée versus la créance irrégulièrement déclarée
Auteurs : Laudine Malatray, Mathilde Bouchet et Ghislaine Betton
Publié le :
31/05/2021
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2021
Vers un rapprochement des conséquences ?
1. Le droit des entreprises en difficultés n’est pas un long fleuve tranquille pour les créanciers qui se retrouvent bien souvent confrontés à des difficultés techniques, issues des règles spécifiques du livre VI du Code de commerce.
2. A l’ouverture d’une procédure collective :
- les créanciers doivent déclarer leurs créances, dans le délai de 2 mois à compter de la publication du jugement d’ouverture au BODACC ;
- les instances en cours sont interrompues, de plein droit, par le jugement ouvrant la procédure collective .
Or, régulièrement et en pratique, soit le créancier ne déclare pas sa créance, soit il la déclare mal.
Les conséquences sont les suivantes :
- en l’absence de déclaration de créance : depuis la loi du 26 juillet 2005, la créance est dite inopposable à la procédure collective.
En pratique, le créancier ne sera pas admis dans les répartitions mais pourra toujours poursuivre en paiement, son débiteur, après la clôture de la procédure collective (hors cas d’une clôture pour insuffisance d’actif) et sous réserve que la prescription ne soit pas acquise. - en cas de créance irrégulièrement déclarée : elle est rejetée et se retrouve éteinte , tout comme la sûreté qui la garantissait.
L’extinction de la créance est définitive et le créancier ne pourra plus inscrire de privilège ou de sûreté ni recouvrer sa créance, même hors procédure collective.
En d’autres termes, le créancier pourrait préférer ne pas déclarer sa créance, plutôt que de voir sa créance rejetée, en cas d’irrégularité.
3. Pour parvenir à cette solution, la jurisprudence se fonde, de longue date, sur les dispositions de l’article L.624-2 du Code de commerce, qui offrent la possibilité au Juge-Commissaire, d’admettre ou de rejeter la créance. Il est regrettable qu’en présence d’une irrégularité dans la déclaration de créance, le Juge-Commissaire ait seulement la faculté de la rejeter, entraînant ainsi son extinction.
Cette conséquence est une véritable sanction pour les créanciers, qui voient leurs créances et leurs garanties s’envoler.
Quid lorsque la créance est déclarée irrecevable dans le cas d’une reprise d’instance ? Faut-il considérer qu’elle est rejetée et par conséquent éteinte ?
4. La Cour de Cassation a répondu par la négative à cette question, dans un arrêt rendu le 10 mars 2021 .
A l’origine, les faits de l’espèce étaient classiques.
Une banque a consenti un prêt à une société civile. En raison d’incidents de paiement, la banque a prononcé la déchéance du terme dudit contrat et mis en demeure la société d’avoir à régler le solde. En l’absence de règlement, la banque l’a assigné en paiement.
Suite à l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la société, la banque a déclaré sa créance au passif de la procédure, avant de la céder à un fonds de titrisation.
La procédure de liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d’actif et, dans le cadre de l’instance pendante devant le Tribunal de Grande Instance, le fonds de titrisation est intervenu volontairement, en exposant venir aux droits de la banque.
Le Tribunal de Grande Instance a déclaré le fonds irrecevable en sa demande fixation de créance, lequel a par la suite assigné les associés en paiement des dettes sociales.
Les juridictions du premier degré ont accueilli cette demande, tandis que la Cour d’appel, saisie par les associés, l’a rejetée. Ces derniers soutenaient que la décision du Tribunal de Grande Instance s’analysait en une décision de rejet entrainant l’extinction de la créance.
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Selon la Cour de Cassation, « la décision par laquelle le juge déclare irrecevable la demande d’un créancier tendant à la fixation du montant de sa créance ne constitue pas une décision de rejet ».
La Haute Juridiction rejette le pourvoi rappelant que les articles L.624-2 et L.622-22 du Code de commerce n’ont pas les mêmes effets.
Si le premier prévoit que la créance peut être rejetée par le Juge-Commissaire, le second, quant à lui, n’envisage nullement cette hypothèse, mais vise spécifiquement le cas d’une reprise d’instance, dans laquelle le juge du fond ne peut, en principe, que constater la créance et fixer son montant.
Dans cet arrêt, bien que le juge du fond semble avoir outrepassé ses pouvoirs, en prononçant l’irrecevabilité de la créance, il est pertinent que celui-ci n’ait pas statué sur l’admission ou le rejet de la créance.
Ce pouvoir n’est pas prévu par les textes !
Dès lors, il est opportun que la Cour n’assimile pas l’irrecevabilité de la créance, à son rejet et, par voie de conséquence, à son extinction. Cette solution est appréciable puisqu’elle permet, au créancier, de ne pas voir son action éteinte. Cette décision a le mérite de rapprocher la situation du créancier qui ne déclare pas de celui dont la créance a été irrégulièrement déclarée.
Ces deux créanciers verraient alors leurs créances déclarer inopposables à la procédure. Un revirement de jurisprudence, en ce sens, est attendu.
Sur ce point, la Cour d’Appel de Montpellier fait front des autres décisions, refusant d’admettre l’extinction d’une créance en présence d’une déclaration irrégulière. Elle rappelle que les règles de procédure civile continuent de s’appliquer et que la créance irrégulièrement déclarée à la procédure collective, n’ayant pas fait l’objet de vérification, ni de décision de rejet au fond, elle ne peut être éteinte.
A ce titre, il n’est pas anodin que l’avant-projet de réforme des sûretés préconise que la créance irrégulièrement déclarée, soit inopposable à la procédure collective et non pas rejetée.
Cette solution, particulièrement attendue, placerait le créancier qui ne déclare pas et celui qui déclare mal sur un pied d’égalité.
Fort de son expertise, le cabinet PIVOINE AVOCATS vous conseille et vous accompagne dans le cadre d’une procédure collective. Pour plus d’informations ou pour prendre rendez-vous, contactez-nous.
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