
La convention de croupier
Auteurs : Sandra Laugier, Claire Garcia, Maira Haned et Ghislaine Betton
Publié le :
25/08/2021
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août
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2021
Avez-vous déjà pensé à l'utiliser ?
Il existe, dans notre système juridique, des outils peu utilisés, qui peuvent se révéler très intéressants dans de nombreux cas. A ce titre, la vente à réméré, la fiducie, les clauses d’earn-out et de kick-out, ou encore la convention de croupier.
Celle-ci constitue un mécanisme efficace pour dépasser certaines situations de blocages auxquelles les associés peuvent être confrontés.
1. Sur les effets de la convention de croupier
1/ Il s’agit d’un contrat par lequel un associé (le cavalier) s’engage envers un tiers (le croupier), à lui céder tout ou partie des bénéfices et des pertes attachés à ses droits sociaux.
Bien que la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 n’ait pas repris l’ancien article 1861 du Code civil, définissant la convention de croupier, il n’en demeure pas moins qu’elle demeure valable.
Cette convention conserve plusieurs intérêts, en permettant notamment :
- aux titulaires de parts sociales, non librement cessibles, de se désengager des affaires sociales, malgré le refus des autres associés à toutes cessions, en partageant avec un tiers les bénéfices ou les pertes ;
- à un associé, qui fait face à des difficultés financières, mais ne souhaite céder ses titres, de mettre en place une convention de prêt, dont le remboursement sera effectué par le versement des bénéfices sociaux (T. com. Paris, 2 mai 1989) ;
- de dissimuler l’identité des participants personnes physiques ou morales au sein d’une société, pour des raisons de discrétion et de secret des affaires ;
- de préparer la cession d'une participation détenue dans une société.
Sur ce point, la jurisprudence est constante : elle refuse de qualifier la convention de croupier en cession de droits sociaux. Ainsi, le croupier n’a aucun droit ni aucune obligation envers la société et les autres associés (T. civ., Seine, 21 juill. 1953 ; Civ. 8 juill. 1887), et la société ne bénéficiera jamais de l’exercice direct d'une action contre le croupier (Req. 24 nov. 1856).
2. Sur les effets de la résiliation de la convention de croupier
Se pose la question de savoir à qui revient la propriété des titres soumis à la convention de croupier, en cas de résiliation de ladite convention.
En principe, ainsi qu’expliqué ci-avant, la convention de croupier ne s’analyse aucunement en une cession ou en une promesse de cession de droits sociaux.
Ce principe semble toutefois, être atténué par un récent arrêt de la cour d’appel de Paris, en date du 28 janvier 2021 (CA Paris, 28 janv. 2021, n° 20/01252).
En l’espèce, une convention de croupier avait été conclue par un associé et un tiers.
Aux termes de cette convention, il était prévu que la répartition des droits aux bénéfices ou boni de cession/liquidation se ferait à hauteur de 95% pour le croupier et 5% pour l’associé, sur les 15 600 actions de la société.
A la suite d’un différend relatif à la distribution des dividendes, le croupier a saisi le tribunal judiciaire de Paris afin de se voir verser la somme correspondant à 95% des dividendes en question. En cours d’instance, ce dernier a résilié unilatéralement la convention de croupier et sollicité l’attribution en nature de 14 820 actions.
Le tribunal judiciaire a fait droit à sa demande, considérant que la résiliation unilatérale de la convention était licite puisqu’à durée indéterminée, et attribué au croupier la propriété de 14 820 actions.
La Cour d’appel de Paris devait donc statuer sur le point de savoir si, à la suite de la résiliation de la convention de croupier, le croupier pouvait se faire attribuer la propriété des actions qui en sont l’objet.
Elle répond par la négative et infirme le jugement sur le transfert de propriété des 14 820 actions au croupier.
Après avoir procédé à une analyse poussée des clauses de la convention, elle relève qu’« aucune disposition de la convention en litige ne suggère qu'un transfert de la propriété des actions puissent avoir lieu du cavalier au croupier, la résiliation de cette convention, qui ne prévoit qu'un partage des droits financiers attachés aux actions de la société Movieland, ne peut entraîner un transfert de propriété des actions concernées ».
Ainsi, la Cour d’appel refuse le transfert de propriété des actions, dès lors que l’intention des parties n’était pas de partager la propriété de la croupe.
Bien que la nature juridique de la convention de croupier ne permette pas l’attribution de propriété des droits sociaux, la Cour d’appel semble donc admettre, a contrario, qu’il y existe une possibilité de prévoir une telle attribution à l’issue du contrat, laissant ainsi toute liberté au croupier et au cavalier de définir par avance les effets de l’achèvement de la convention.
La Cour ne se prononce en revanche pas sur le fait de savoir :
- Si la cession d’action à l’issue du contrat peut être prévue pour tout évènement mettant fin au contrat, ou uniquement au titre de « sanction » d’une résiliation fautive,
- Quelle serait la validité d’une telle clause en présence d’une clause d’agrément, ou de l’existence d’un droit de préemption prévu par les statuts de la société.
N’ayant pas la qualité d’associé, le croupier n’a aucun droit de vote. Toutefois, il peut bénéficier d’un exercice indirect dans la société, par l’intermédiaire du cavalier, si la convention le prévoit.
Cet exercice peut prendre la forme d’un droit à l’information et d’une participation aux décisions collectives en prévoyant, par exemple, une concertation préalable entre le croupier et le cavalier, avant tout assemblée générale.
Dans la mesure où aucune obligation impérative d’informer les autres associés de l’existence de cette convention de croupier prévoyant l’influence du croupier sur les décisions collectives, ce schéma apparait particulièrement dérogatoire aux règles usuelles en la matière puisque ;
- Les autres associés peuvent ne pas être informés de l’identité de la personne exerçant effectivement le droit de vote :
- Ces conventions réduisent à néant les dispositions protectrices qui peuvent être mises en place au travers des clauses d’agrément, visant justement à ne pas voir un tiers influer sur les décisions sociales, sans accord préalable des autres associés.
La frontière entre les droits de l'associé et ceux du croupier dépend donc des stipulations prévues par l’acte, la liberté contractuelle laissant une marge de manœuvre assez importante aux parties.
Par conséquent, il est impératif de faire preuve d’une grande prudence lors de la rédaction de la convention de croupier, d’autant plus que cette technique financière demeure dans la majorité des cas occulte et contient des risques dont les parties n’ont pas forcément conscience.
Il est donc particulièrement important de définir les droits et obligations de chacun :
- Pendant la durée de la convention ;
- A l’issue de la convention ;
Fort de son expertise, le Cabinet PIVOINE vous conseille au mieux pour sécuriser vos opérations juridiques et vous accompagne dans la rédaction de vos actes.
Historique
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