
Revirement jurisprudentiel : la caution peut désormais opposer la prescription biennale appartenant au débiteur principal
Auteur : Julien Skeif et Ghislaine Betton
Publié le :
18/05/2022
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Par un important arrêt du 20 avril 2022 , la Cour de cassation vient de rompre avec sa jurisprudence antérieure concernant l’application, en matière de cautionnement, de la prescription biennale prévue par l'article L. 218-2 du Code de la consommation.
Rappelons que par principe, l’article 2224 du Code civil prévoit que le délai de prescription de droit commun, c’est-à-dire celui au-delà duquel une partie ne peut plus engager une action en justice, est de 5 ans lorsqu’aucun texte ne spécifie une durée différente.
Par exception, en application de l’article L.218-2 précité, les professionnels qui fournissent des biens ou des services aux consommateurs sont soumis à une prescription biennale (de deux ans) pour agir en justice.
Après l’expiration de ce délai, le professionnel ne peut donc plus engager de poursuites judiciaires à l’encontre du consommateur.
Par suite, en matière d’emprunts bancaires, la question s’est posée de savoir si la caution garantissant un prêt pouvait invoquer le délai de prescription biennale applicable à l’emprunteur ayant la qualité de consommateur, ou si cette dernière devait au contraire être soumise à la prescription quinquennale de droit commun.
C’est sur ce point que l’arrêt étudié modifie sensiblement les solutions jusqu’ici admises.
En l'espèce, par contrat du 22 novembre 2007, une banque avait consenti un prêt immobilier à un couple d’emprunteurs, garanti par un cautionnement de la société CNP.
À la suite d’un défaut de paiement, cette dernière a assigné les emprunteurs et la caution en remboursement des sommes lui restant dues.
En appel , les juges du fonds lyonnais avaient estimé que, dans la mesure où la dette des emprunteurs était éteinte par l’effet de la prescription biennale, il en était de même de l’obligation de la caution, puisque cette dernière en constituait l’accessoire.
Mécontente de cette décision, la banque a formé un pourvoi en cassation, en faisant au contraire valoir que la prescription biennale prévue par l'article L.218-2 précité constituait une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur, qui ne peut être opposée au créancier par la caution.
La question se posait donc de savoir si une exception non inhérente à la dette elle-même mais personnelle au débiteur pouvait être opposée au créancier par la caution.
Il est vrai que classiquement, la caution poursuivie en exécution de son engagement pouvait seulement opposer au créancier les exceptions appartenant au débiteur principal inhérentes à la dette.
En revanche, il ne lui était pas possible d’invoquer celles purement personnelles au débiteur, telle que celle résultant de sa qualité de consommateur, comme en l’espèce.
Cette solution, découlant de l’ancienne rédaction de l’article 2313 du Code civil, avait clairement été rappelée par la juridiction suprême dans un arrêt remarqué du 11 décembre 2019 au terme duquel elle avait énoncé que :
« l’extinction de l’obligation principale par le jeu de la prescription biennale qui bénéficie aux seuls consommateurs n’est pas inhérente à la dette, mais constitue une exception purement personnelle au débiteur principal qui est un consommateur de sorte que (…) la caution, qui n’a pas cette qualité à l’égard de la banque faute pour celle-ci de lui avoir fourni un service quelconque, ne peut s’en prévaloir ».
Cependant, rompant avec sa jurisprudence antérieure, la Cour de cassation a considéré que, dorénavant, la caution pouvait invoquer la prescription biennale de l'article L. 218-2 du Code de la consommation, dès lors que ladite prescription bénéficiait au débiteur principal.
En effet, aux termes d’un raisonnement pédagogique, les juges ont considéré qu’une telle solution exposait le débiteur principal au recours personnel de la caution, le privant ainsi du bénéfice de la prescription biennale attachée à sa qualité de consommateur.
Pour comprendre ce changement de position, il faut par ailleurs rappeler qu’une ordonnance du 15 septembre 2021 a modifié la règle posée par l’article 2313 précité, et que l’article 2298 du Code civil permet dorénavant à la caution d’opposer au créancier toutes les exceptions appartenant au débiteur, qu’elles soient personnelles ou inhérentes à la dette.
Cependant, cette ordonnance n’est applicable qu’à compter du 1er janvier 2022 et ne concernait donc pas les faits d’espèce.
Toutefois, la Cour Cassation poursuit son raisonnement en énonçant que son ancienne jurisprudence conduisait à traiter plus sévèrement les cautions ayant souscrit leur engagement avant l’entrée en vigueur des nouvelles règles, ce qui n’était pas souhaitable.
Ce revirement résulte donc d’une volonté manifeste de tenir compte de la réforme du droit des sûretés et d’harmoniser les solutions en présence, même si le nouveau régime n’avait pas vocation à s’appliquer aux faits antérieurs à son entrée en vigueur.
La solution est originale puisqu’elle implique une interprétation du texte ancien fondée sur le texte nouveau, procédé suffisamment rare en pratique pour être signalé.
Quelle que soit la date des faits concernés, il conviendra donc dorénavant de bien faire l’inventaire des exceptions appartenant au débiteur principal afin de pleinement apprécier la portée de l’engagement de sa caution.
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