
La réaffirmation de l’impossible immixtion du juge dans la détermination du prix en matière de vente
Publié le :
19/06/2025
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Cass. Com., 4 juin 2025, n° 24-11.580
Illustration parfaite du principe de liberté contractuelle, l’article 1591 du Code civil prévoit expressément que « le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties ».
Concernant cette détermination du prix, élément indispensable à validité d’un contrat de vente, l’article suivant précise qu’« il peut cependant être laissé à l’estimation d’un tiers ; si le tiers ne veut ou ne peut faire l’estimation, il n’y a point de vente, sauf estimation par un autre tiers ».
Ces dispositions posent donc un principe de non-immixtion du juge dans la détermination du prix en matière de contrat de vente.
L’arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 4 juin 2025 le rappelle avec une rigueur particulière, en censurant un arrêt dans lequel le juge du fond s’était arrogé le pouvoir de déterminer le prix d’un fonds de commerce dans le cadre de sa cession.
Le raisonnement de la Cour, conforme à la jurisprudence constante, mérite toutefois d’être examiné à travers une double analyse : d’une part, en ce qu’il réaffirme l’interdiction du juge de suppléer les parties dans la détermination du prix (1), d’autre part, en ce qu’il souligne la nécessité de procéder à une rédaction rigoureuse des contrats afin d’assurer la sécurité juridique du mécanisme de fixation du prix (2).
- L’interdiction absolue pour le juge de fixer le prix de vente, même à la demande des parties
Le prix était fixé à hauteur de 80% du chiffre d’affaires annuel de référence « défini comme celui des douze derniers mois d'exploitation antérieurs à l'antépénultième mois précédant la cession », auquel devaient être déduits certains éléments, notamment la location de matériel médical, les ventes de marchandises associées à l'activité de location de matériel médical…
Un prix provisoire avait été fixé lors de la signature de l’acte définitif de cession. En effet, les comptes de l'année 2015 n'étant pas arrêtés à ce moment-là, le prix définitif devait être fixé après la communication du chiffre d'affaires de référence.
Un désaccord est cependant survenu sur le chiffre d’affaires de référence. Conformément aux stipulations contractuelles, les parties ont donc désigné d'un commun accord un tiers évaluateur, qualifié d’« expert » qui a procédé à l'évaluation du chiffre d'affaires total annuel.
Un second désaccord est né concernant le montant des retraitements à déduire du chiffre d’affaires. La cédante a alors saisi le Tribunal de commerce de Niort pour demander, à titre principal, la fixation définitive du prix et le paiement du solde lui restant dû et, à titre subsidiaire, une expertise judiciaire aux fins de fixer le prix définitif en fonction de la méthode de calcul stipulé au contrat.
La cour d’appel de Poitiers, dans son arrêt du 12 décembre 2023, a confirmé le jugement rendu par le tribunal en première instance, ayant fixé lui-même le montant des éléments à retrancher du chiffre d'affaires annuel et partant, le prix de cession du fonds de commerce, en dépit d’accord entre les parties sur ce point.
La Cour de cassation censure cette décision et casse l’arrêt au visa des articles 1591 et 1592 du Code civil, en rappelant que le juge ne peut jamais fixer le prix de la vente.
Elle précise que l’article 12 du Code de procédure civile, qui impose au juge de statuer selon les règles de droit, n’autorise pas pour autant le dépassement des limites posées par le droit substantiel. Le simple fait qu’une partie demande au juge de fixer le prix n’a aucune incidence sur la répartition des compétences : le juge ne peut s’arroger un pouvoir qui ne lui est pas reconnu, même en présence d’une clause contractuelle floue ou incomplète.
Cette solution confirme une position jurisprudentielle solidement établie (notamment 1ère Civ., 24 février 1998, n° 96-13.414 ; 1ère Civ., 19 janvier 1999, n° 97-10.695), interdisant toute intervention judiciaire dans la fixation du prix.
Ce rappel contribue à renforcer la portée du principe fondamental de liberté contractuelle en écartant toute possibilité pour le juge de se substituer aux parties dans la fixation d’un élément déterminant de leur engagement. L’intervention du juge viendrait fausser l’équilibre contractuel et introduire une insécurité juridique, et ce en contradiction avec l’esprit de la lettre des articles 1591 et 1592 du Code civil.
- L’exigence de rigueur contractuelle dans la fixation et l’expression du prix de vente
Cette solution souligne l’importance de prévoir dans l’acte de cession des mécanismes de fixation du prix précis, autonomes et efficaces. Le prix doit être soit déterminé au jour de la vente, soit déterminable en application d’une méthode objective, insusceptible d'intervention judiciaire.
Si les parties disposent d’une grande liberté sur ce pouvoir de fixation, elles doivent toutefois s’accorder sur un prix sérieux, qui ne doit être ni dérisoire ni illusoire. A défaut, le contrat pourrait être sanctionné par la nullité pour vil prix, l’action relevant toutefois du régime des actions en nullité relative, celle-ci ne tendant qu'à la protection des intérêts privés du vendeur. (Cass. Com., 10 avril 2019, n° 14-12.409)
Enfin, lorsque les parties décident de recourir à l’intervention d’un tiers pour fixer le prix, elles doivent s’assurer que ce tiers est déterminé ou, à défaut, déterminable selon des critères fonctionnels (par exemple, désignation par une juridiction ou l’attribution d’une fonction spécifique). Elles doivent aussi encadrer la mission de l’expert, tant concernant la méthode calcul à retenir que dans les critères à prendre en considération.
En conclusion, la Cour de cassation vient rappeler avec force que la fixation du prix dans les contrats de vente appartient exclusivement aux parties ou à défaut, à un tiers, mais aucunement au juge, qui se doit de rester silencieux sur cette question. Concernant ce tiers, la clause qui prévoit sa désignation doit être rédigée et interprétée avec la plus grande rigueur.
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